Après avoir séduit les festivaliers cannois en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs 2022, L'Envol de Pietro Marcello sort en salles. Emmené par la jeune révélation Juliette Jouan, le film suit le parcours et l'évolution d'une jeune fille, qui, aux côtés de son père rescapé de la Première Guerre mondiale, grandit et s'émancipe à sa manière.
Passionnée par le chant et la musique, la demoiselle solitaire fait un été la rencontre d’une magicienne qui lui promet que des "voiles écarlates" viendront un jour l’emmener loin de son village. Juliette ne cessera jamais de croire en la prophétie.
Nous avons rencontré l'équipe de ce drame poétique, mêlant savamment les genres et les tons, au service d'une adaptation résolument libre du roman d’Aleksandrs Grins.
L'EnvolUn conte rural onirique et âpre
Entre drame rural âpre et conte de fée teintée de magie, L'Envol ne choisit pas, alternant de façon surprenante moments rugueux et instants féériques, parce que "la vie quotidienne c’est aussi cela" pour Pietro Marcello, fortement inspiré il nous l'a précisé, par le néoréalisme italien.
"A la lecture du scénario, cela semblait avant tout féérique", précise sa comédienne, Juliette Jouan : "Je n’avais que des images qui semblaient venir d’un conte de fée. Au moment du tournage, sur pellicule, dans la grisaille, j’ai compris qu’on était dans une ambiance rurale, plus profonde et vraie. Pietro a fait le bon mélange." Un mélange entre "naturalisme, histoire et onirisme" également apprécié par Raphaël Thiéry, qui s'est complètement abandonné au projet, nous confiant avoir, pour la première fois de sa carrière, joué sans se préoccuper du montage final. Et pourtant le rôle ne lui a pas semblé évident dès le début : "Quand j’ai lu le scénario, ce personnage rentrant de la guerre de 14-18, j’avais 59 ans, je me disais "ça ne va pas coller". Mon entêtement légendaire m’a poussé à envoyer tout de même une vidéo, avec mon accordéon. J’avais lu que le personnage en jouait. Cela a été un déclic pour Pietro comme pour moi et comme on est dans l’univers du conte, l’âge importe moins. On porte autre chose."
Dans la peau de cet homme rescapé et endeuillé, élevant seul sa fille "dont il est dépendant comme elle l'est de lui", le comédien s'impose : "J’ai toujours vécu en milieu rural. On s’y imprègne de gestes, d’attitudes et d’allures qui viennent par mimétisme. Le film évoque la cellule familiale dans un contexte historique du début du 20ème mais qui existe encore aujourd’hui. Le contexte matriarcal par exemple, est encore similaire. La question de l’émancipation des jeunes filles ou des enfants au sens large reste d’actualité", a-t-il commenté.
Une adaptation et une héroïne émancipées
Film féminin si ce n'est féministe, L'Envol met ainsi en scène un père moderne et une héroïne émancipée qui, contrairement au roman d'origine, ne s'inscrit pas dans la quête et l'attente d'un prince charmant, "parce que ce n'est plus possible de proposer une histoire où le prince repart avec la fille", précise Pietro Marcello, déterminé à proposer un film "fait avec âme et simplicité qui adapte d'une manière moderne" le roman d'origine. Un élément primordial également pour Juliette Jouan :
"On a travaillé sur le fait que Jean ( interprété par Louis Garrel) ne devait pas apparaître comme un prince charmant. C’était un peu le cas dans le scénario au début et cela faisait moins moderne. Au moment du tournage, Pietro nous a laissé construire les scènes avec lui, sans répétition. On s’est rendu compte qu’il y avait des choses qui ne marchaient pas. Ce n’était plus d’actualité, ça ne fonctionnait plus avec nos personnages.
Je suis très contente de l’évolution de mon personnage. Personnage féministe oui aussi, car il ne faut surtout pas voir Jean comme raison de son émancipation. Il est pour elle une première expérience qui l’amène à devenir une jeune femme. Mais il ne détermine ni son bien-être, ni sa condition."
Repéré lors d'un casting sauvage, la comédienne débutante crève l'écran dans la peau de cette héroïne à la fois forte et sensible, qui se moque de ce que l'on peut penser d'elle. Inspirée dans un premier temps de la personnalité de son interprète, le personnage a évolué avec le temps, nous raconte-t-elle :
"Je n’ai jamais pris de cours de théâtre. J’ai surtout un bagage musical derrière moi, au conservatoire, en piano ou en tant que chanteuse. Mon père est comédien et musicien. Il m’a envoyé l’annonce "Juliette 20 ans, sait chanter et joue de la musique". La description de sa personnalité convenait aussi. Il m’a dit "Regarde, on dirait toi !" J’ai envoyé une vidéo de présentation sans trop me prendre au sérieux. Pietro a vu que j’étais assez spontanée. Ça lui a plu. "
"C'est ensuite au moment du tournage, lorsqu'on a construit cette famille, dans cette ferme, qu'on s’est rendu compte qu’elle était beaucoup plus dure que moi et qu'il ne fallait pas qu'elle me ressemble autant. On a retravaillé dessus, on a forgé un caractère un peu plus dur, par rapport à ce qu’elle a vécu."
Une improvisation de tous les instants
Maître mot du tournage, l'improvisation a été au cœur du processus créatif de son metteur en scène qui explique ne pas voir le scénario "comme une œuvre complète" et aimer par dessus-tout la "transposition filmique". En équipe.
"Pietro a convié l'équipe à une semaine d’intégration dans ce village. Cela a créé une cohésion d’être tous ensemble ainsi. Dès qu’on tournait, Noémie (Lvovsky) et Raphaël m’emportaient avec eux."
"Le matin Pietro pouvait arriver et me dire "Tu vois cette scène, je ne l’aime pas. Qu’as-tu envie de faire ?" Lorsque ça ne marchait pas, on changeait complètement de registre, on enlevait beaucoup de mots", se réjouit Juliette Jouan.
"Pietro Marcello travaille énormément à l’instinct, ce qui m’a convenu", renchérit Raphaël Thiéry. "Il m’a laissé carte blanche, à tel point que j’ai retiré les trois quarts des dialogues car je ne voulais pas expliquer ce que j’étais en train de jouer. On n’a fait aucune répétition. Pietro m’a décrit le personnage puis m’a laissé le travailler à ma façon."
"Avec Juliette et Noémie, on avait le sens du propos qu’on a défendu avec nos mots, nos réactions et aussi nos silences. Les plus jolis dialogues de ce film sont les silences. Ils racontent énormément."
Ce petit bijou d'improvisation, tourné en peu de prisees et au gré des talents est à découvrir dans vos salles de cinéma à partir de ce mercredi 11 janvier.
Redécouvrez Martin Eden, le premier long métrage de Pietro Marcello qui propose également une adaptation libre du célèbre roman de Jack London :