Présenté lors du dernier Festival de Cannes dans la catégorie Un Certain Regard, Tirailleurs de Mathieu Vadepied sort ce mercredi dans nos salles.
Porté par Omar Sy et Alassane Diong, le long-métrage se déroule pendant la Première Guerre mondiale. En 1917. Bakary Diallo (Omar Sy) s'enrôle dans l'armée française pour rejoindre Thierno (Alassane Diong) , son fils de 17 ans, qui a été recruté de force. Envoyés sur le front, père et fils vont devoir affronter la guerre ensemble.
Galvanisé par la fougue de son officier qui veut le conduire au cœur de la bataille, Thierno va s'affranchir et apprendre à devenir un homme, tandis que Bakary va tout faire pour l'arracher aux combats et le ramener sain et sauf.
Tirailleurs rend hommage à ces hommes enrôlés de force pour protéger la France durant la Grande Guerre et montre parfaitement la difficulté d'arriver dans un Pays inconnu dont ils ne parlaient pas la langue. Mais le long-métrage traiter également de la relation père-fils et du besoin d'émancipation des enfants.
Un film fort et nécessaire qui, 15 ans après Indigènes de Rachid Bouchareb - qui rendait hommage aux soldats recrutés en Afrique durant la Seconde Guerre mondiale -, met en lumière l'héroïsme de ces hommes arrachés à leur famille pour défendre un pays qui leur était inconnu.
Nous nous sommes entretenus avec les comédiens Omar Sy et Alassane Diong (dans la vidéo ci-dessus) et avec le metteur en scène Mathieu Vadepied.
Ce dernier a rencontre Omar Sy il y a 10 ans sur le tournage d'Intouchables d'Eric Toledano et Olivier Nakache. Mathieu Vadepied y était alors directeur de la photographie. Il avait alors parlé de son idée de film sur les tirailleurs sénégalais à Omar Sy lors d'un repas à la cantine.
Rencontre avec le réalisateur.
AlloCiné : Le film commence par la fin. Comment avez-vous eu l’idée de la construction du film ?
Mathieu Vadepied : C’est vraiment l'écriture du scénario qui nous amène à chercher le meilleur vecteur, les meilleurs personnages... Ce qui nous semble le plus juste pour raconter une histoire intime. C'est un peu la ligne maîtresse ; être sur l'intime de deux personnages qui sont liés familialement et qui vont être pris par la guerre, dans cet exil forcé, loin de leur village, de leur pays et de leurs repères.
J’ai tenté de trouver le ton juste pour arriver à montrer leurs perceptions, ce qu’ils traversent, ce à quoi ils sont confrontés chacun de leur côté et puis ensemble. Je voulais montrer la manière dont la guerre les affecte et les sépare aussi. Comment ça crée du lien et du tragique entre eux aussi.
Comment la guerre sépare la cellule familiale et puis, sur un plan plus universel, montrer comment l’autorité entre le père et son fils s’inverse à un moment donné. La guerre agit comme un accélérateur de la vie. On voit comment petit à petit on est amené à se séparer de ses parents pour s’émanciper.
Pour le fils, faire la guerre est un vecteur d’émancipation. Ça lui permet de modifier sa position par rapport à son père, et bien évidemment, ça crée des tourments pour les deux.
Selon vous, pourquoi le cinéma a mis tant de temps à raconter l’histoire de ces tirailleurs sénégalais de la Première Guerre mondiale?
Je ne suis pas sûr d'avoir une réponse extrêmement construite. Très certainement, ce n'était pas le bon moment . Il y a une mémoire qui est douloureuse.
Comme toutes les mémoires douloureuses, elle reste un peu enfouie pour plein de raisons et elle a besoin de s'exprimer, d'être transmise, d'être connue, d'être regardée et d'être formulée aussi.
Donc c'est vrai, ça parait bien tard, mais je pense que comme beaucoup de traumas, ça met du temps.
Par définition, si c'est enfoui, c’est parce que ça fait mal. Et puis des forces un peu telluriques amènent à faire remonter les choses comme ça, un peu inexorablement. Je pense qu’il y a quelque chose qui nous a poussé à le faire aujourd’hui.
"Indigènes" de Rachid Bouchareb avait été projeté à Jacques Chirac qui avait alors annoncé l'égalisation des pensions entre anciens combattants français et étrangers Souhaiteriez-vous que Tirailleurs soit vu Emmanuel Macron afin que la France reconnaisse enfin ces soldats ?
Un film peut générer des réactions positives. On ne sait pas d’avance ce qui peut se passer. Ce que je souhaite, c'est qu'il y ait beaucoup d'autres récits sur le sujet, et ça commence à émerger.
J’aimerais que des politiques publiques s'emparent de ça et que ça contribue à faire prendre conscience. Faire un travail pédagogique dans les écoles, modifier peut-être un peu les programmes ou les manuels d’Histoire. Mais ça, ce serait un prolongement, et c'est une autre histoire.
Le Président de la République regarde les films qu'il a envie de voir. J'imagine qu'il aura la curiosité de le regarder.
Dans la plupart des films de guerre, par souci de facilité, les soldats parlent tous français. Dans "Tirailleurs", Omar Sy et Alassane Diong parlent Peul et c’est un vrai plus. Ça montre à quel point ces hommes étaient complètement perdus et ne se comprenaient pas non plus entre eux. C'était important pour vous de tourner dans ce dialecte ?
Oui, dès le départ je souhaitais garder leur langue d'origine. C'était une façon de transmettre un sentiment, de conserver une forme de dignité des personnages, de transmettre aussi la richesse de cette langue et montrer ce que c'est, qu'essayer de se connecter avec l'étrangeté.
Qu'est ce que c'est pour des gens qui appartiennent à un monde, à un univers, à une culture, d'être immergé dans une autre. Dans un monde où ils n'ont pas les codes, pas la langue. Ils ne savent pas très bien pourquoi ils sont là. En tout cas, la question de l'ennemi est une question un peu étrangère à eux, parce que, là en l'occurrence, les Allemands ne leur ont rien fait de personnel.
Tourner en peul aidait le récit à avancer et la compréhension des spectateurs.
Et puis, tourner dans cette langue a également permis aux acteurs d’avoir un jeu différent. Ils ont une façon d'être, une façon de regarder, de jouer, qui n’est pas la même je trouve.
Omar est très expressif et extériorisé dans sa vie ou dans ses rôles. Et son jeu diffère dans Tirailleurs. Il avait ça en lui quelque part sans doute, même si c'est une part qu'il n’a jamais réellement dévoilé ou qu'il n’a jamais été amené à montrer ou à exprimer.
Mais le fait que ce soit tourné en peul a créé une sorte de connexion avec sa langue maternelle qui a fait écho à beaucoup de choses, de par son histoire personnelle, celle de ses parents, et des générations précédentes.
Et la langue est vecteur de tout un tas de choses : une manière de s'exprimer, de regarder le monde, d'être. Chez les Peuls il y a – comme dans toutes les cultures – une certaine manière de se comporter, certains rapports sociaux à respecter… et tout ça est véhiculé par la langue.