Wonka dénature l’œuvre de Roald Dahl, préfère remplacer la noirceur des situations et la cruauté des relations humaines par une guimauve des plus industrielles. Le chocolatier apparaît dans le costume d’un magicien chanteur qui sied mal à l’acteur Timothée Chalamet, fade décoloration du personnage à l’excentricité mélancolique que campaient à merveille Gene Wilder puis Johnny Depp ; il n’en reste que la silhouette, qu’animent la démarche dégingandée et la gestuelle exagérée, sans cynisme, sans intelligence, sans génie.
Ce retour aux sources s’enferme dans un scénario cliché, périlleusement dynamisé par des séquences chantantes qui font de lui un spectacle de Broadway davantage qu’une œuvre de cinéma. Il n’explore guère l’âme tout à la fois aventureuse et tourmentée de son trublion du goût : les chocolats se créent par pure magie, ne sont plus le fruit d’un savoir-faire et d’un travail ; ils projettent certains dans les airs, font pousser à d’autres des moustaches rousses, sans que rien jamais n’ait d’incidence. Le film coule comme sa cascade sucrée, délaisse la fève au profit de la boutique, célèbre la consommation au détriment de la conception. Aussi Willy Wonka n’est-il jamais érigé en créateur, raccordé par l’histoire à un statut de bonimenteur soucieux de fuir les forces de l’ordre et de vendre à la sauvette ses produits dans les transports en commun. Les gros plans sur les sourires dentés, qu’ils soient blancs ou jaunes, martèlent à l’écran un positivisme nauséabond, redoublé par des chansons entraînantes et par des chorégraphies réussies qui échouent à signifier – West Side Story paraît si loin !
Nous retrouvons là le réalisateur des deux volets Paddington, Paul King, quoique l’enchantement naïf convînt davantage à l’ourson de bleu vêtu. Seul Hugh Grant apporte un peu de malice et de second degré : ses apparitions, trop restreintes, font mouche et rire petits et grands. Et arrêtons avec l’argument si souvent martelé en guise d’argument esthétique : « c’est bien pour les enfants ». Le goût s’éduque dès le plus jeune âge, comme l’atteste la vocation du petit Willy au contact de sa mère qui, à ses dires, réalisait le meilleur chocolat du monde. Inutile de chercher, en somme, le « monde de pure imagination » promis par la chanson : peu d’imagination ici, mais une fantaisie adipeuse de qualité industrielle, qui atteste néanmoins un savoir-faire en matière de divertissement.