Préambule
Des coups de feu, une panique légitime puis l’apparition d’un corps inanimé dans le paisible cours d’eau circulant au sein du domaine du « The White Lotus ». A l’instar des deux volets précédents qui nous avaient embarqué pour Hawaï et la Sicile, la série nous propose un voyage en Thaïlande où il s’agira une nouvelle fois de comprendre les raisons de ce drame mortel, d’en découvrir les auteurs ainsi que les victimes. A travers la description des richissimes clients de cet hôtel luxueux, Mike White, l’auteur de cette anthologie passionnante, avait réussi à dresser un portrait corrosif d’une élite oisive et nombriliste, venue en vacances pour se faire servir et assouvir leur insatiable appétit consumériste. Dans ce contexte, on avait fréquenté une myriade de personnages capricieux et résolument imbus d’eux-mêmes que la tonalité sarcastique de la série avait contribués à rendre délicieusement détestables malgré leurs apparentes blessures narcissiques.
Et c’est reparti pour un tour
Pour ce troisième chapitre, le concept de la série reste fondamentalement inchangé. Ainsi, le premier épisode se contente de nous présenter les résidents du White Lotus thaïlandais. Au menu cette fois-ci, un quinquagénaire irascible plus motivé à rencontrer le riche propriétaire de l’hôtel, qu’à profiter des séances de relaxation gracieusement dispensées dans cet endroit paradisiaque. Sa mauvaise humeur, il en fait largement profiter sa jeune et amoureuse compagne, Chelsea, qui semble lui taper sur les nerfs dès qu’elle ouvre la bouche (c’est-à-dire, tout le temps !). Puis, de manière plus classique, ces trois copines d’enfance qui souhaitent fêter leurs retrouvailles en profitant des plaisirs offerts par la généreuse Thaïlande. Enfin, la famille Ratliff au grand complet. Leur richesse, ils la doivent à Timothy, le père, un chef d’entreprise à la probité douteuse rapidement menacé par une sombre histoire de détournement de fonds. Saxon, le grand fils travaille dans l’entreprise de papa. Son projet se résume ainsi à « soulever » le plus de filles possible. Il s’est par ailleurs donné pour mission de faire découvrir la vie à son petit frère Lochlan, un jeune homme qui se cherche et porte l’assurance de Saxon au pinacle. Victoria, la mère, assume pleinement son statut de nantie ce qui ne l’empêche pas de calmer ses angoisses aux anxiolytiques. Et puis, il y a Piper, la sœur. C’est elle qui a choisi de venir en Thaïlande afin d’y rencontrer un moine bouddhiste dans le cadre de ses études. A cela s’ajoutent les parcours des subalternes : Gaitok, le gardien du parc épris de la jeune Hook qui lui reproche implicitement son manque d’ambition et la masseuse Belinda, en formation dans l’hôtel, qui rêve enfin d’ouvrir son propre salon. Les présentations faites peut alors débuter le théâtre des vanités.
Un manque cruel de contenu
Commençons par ce qui fâche. « The White Lotus » nous avait habitué à l’excellence. Derrière les portraits, tous d’une précision diabolique, se dressait la manière d’être au monde de ceux qui ne connaissent pas la privation. Qu’il s’agisse de leur rapport entre membres de leur propre caste ou des liens qu’ils entretiennent avec ceux qu’ils jugent inférieurs, les axes de réflexion étaient multiples et subtils, les émotions qui en découlaient, innombrables. Cette troisième saison est, sur ce plan, beaucoup plus inconsistante. Certes, elle évoque l’idée que, lassés par une vie où rien ne leur est refusé, certains recherchent désormais le plaisir dans le spectacle de leur propre luxure. Par ailleurs, elle interroge les personnages sur leur capacité à se passer du train de vie qui est le leur. C’est déjà pas mal mais c’est aussi assez peu. Globalement, son contenu reprend beaucoup des thèmes qu’elle avait déjà évoqués : le narcissisme, l’arrogance, le besoin de domination et la « débauche » comme moyen de se sentir exister. On perçoit même une ode à l’amitié et à la force des liens familiaux, un message consensuel assez déroutant pour une série jusque-là empreinte d’une noirceur subversive décapante. L’exemple le plus flagrant est celui des trois amies. On assiste simplement à un spectacle assez classique où il sera question de jugement superficiel entre femmes aux parcours de vie et aux idées politiques dissemblables. Cet arc narratif, incontestablement le plus faible de tous, est assez vide de sens.
Quelle direction d’acteurs !
Pourtant, malgré des propos qui tournent largement en rond (c’était à craindre), la mayonnaise prend largement. Si on ne trouve pas le temps long en observant les pérégrinations de Jaclyn, Kate et Laurie, c’est que Mike White use intelligemment de plans assez courts pour faire cohabiter sa multitude de personnages en un tout harmonieux et dynamique. Mais il parvient surtout à en brosser délicatement les portraits, aidé en cela par des interprétations d’une incroyable précision. C’est d’ailleurs l’une des forces de cette série que d’être systématiquement pourvue d’acteurs époustouflants. Si on devait n’en citer que quelques uns, notons la performance remarquable (une fois n’est pas coutume) de Walton Goggins en homme rongé par le mal-être et tellement obsédé par sa quête qu’il se montre imperméable à l’amour qui lui est offert. Quant à Patrick Schwarzenegger, il insuffle à son Saxon la dose appropriée de masculinisme sûre de sa force propre à le rendre aussi détestable que démuni au moment de se trouver une « âme ». Enfin, comment rester insensible à la candeur désespérante mais sincère de Chelsea qui espère réparer les maux de son acariâtre amant ? Devant un tel sentiment de perfection qui se répète de saison en saison, impossible de ne pas désigner Mike White comme étant le principal instigateur de cette capacité à traquer l’expression juste des visages. Ainsi, en dehors du gérant de l’hôtel franchement insipide, il est époustouflant de constater que tous les protagonistes de cette histoire sont pourvus d’une personnalité singulière dont on peut louer la qualité d’écriture.
Une narration aux petits oignons
Ce soin apporté à chaque détail, on le ressent également dans la construction du récit qui veut que se rejoignent dans un final très attendu les différents arcs narratifs de cette histoire. Tous, sauf celui « des trois copines » que l’on peut décidément considérer comme le véritable talon d’Achille de cette saison. Le sort réservé à Belinda connaît également une forme d’indépendance mais il a le mérite de boucler astucieusement ce qui avait été entamé au moment de faire sa connaissance sur l’île d’Hawaï. Comme le disait Desproges : « Les riches forment une grande famille, un peu fermée certes, mais les pauvres, pour peu qu’on les y pousse n’en demanderaient pas mieux que d’en faire partie ». Jusqu’à reproduire ce qu’ils ont eux-mêmes enduré. Pour le reste, plus on s’approche du dénouement, plus la tension se fait ressentir ce qui est tout de même un gage de qualité scénaristique. Pendant longtemps, il nous sera bien difficile d’anticiper l’origine des déflagrations à venir tant le danger semble susceptible d’émaner de partout et dans de multiples directions. Et même après que la mort a frappé, une dernière pirouette magistrale se chargera de surprendre le spectateur, rendant particulièrement cruel ce tragique épilogue qui, cette fois-ci, ne prête pas à rire.
Une esthétique inégalable
Cet humour souvent malaisant qui caractérisait « the White Lotus » est bel et bien présent mais beaucoup plus diffus. Ainsi, les trois amies se trouvent en panique devant les tirs répétés d’enfants s’amusant à les arroser de leur pistolet à eau. Leur incapacité à se plier aux coutumes locales et d’en accepter les minimes conséquences se révèlent assez cocasse. Par ailleurs, les postures avachies et le regard hagard de Timothy, drogué aux anxiolytiques plus de la moitié du temps, constituent un élément comique des plus croustillants. Pour le reste, il convient, pour apprécier le burlesque de certaines situations, de se pencher sur la bande-son qui les accompagne. Cette dernière se plaît non seulement à souligner le caractère grotesque des attitudes de chaque personnage mais elle procure à l’ensemble de la série une atmosphère à nulle autre pareille. D’une richesse époustouflante, composée de sonorités qui dépassent largement le cadre de la simple mélodie, elle devient un élément indissociable du récit. Même le générique dont on regrette d’abord que l’ancien n’ait pas été conservé contient une montée en puissance rythmique qui le rend rapidement addictif. Enfin, à cet aspect formel vient s’ajouter une qualité de mise en scène à la hauteur de ce dont la saison précédente nous avait gratifiés. La diversité des paysages de Thaïlande à laquelle personne ne semble prêter attention transpire dans chaque plan de cette œuvre magnifique qui fait honneur à son pays hôte ; la richesse de la pensée bouddhiste sert quant à elle de contrepoint essentiel à la vacuité spirituelle de la plupart des résidents du White Lotus dont les comportements sont considérés avec amusement par les nombreuses figures « divines » qui les côtoient quotidiennement. Alors oui, ce troisième chapitre peine à renouveler son contenu. Mais pour toutes les raisons évoquées ici, elle conserve ce parfum à la fois unique et subversif qui lui est propre. Un parfum sulfureux dont on reste imprégné plusieurs jours durant. On peut la critiquer mais elle est sans conteste ce qui se fait de mieux dans l’univers télévisuel actuel.