Metteur en scène soviétique, Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein naît le 23 janvier 1898 à Riga (Lettonie). Son père est architecte et sa mère appartient à la petite bourgeoisie. Il fait des progrès rapides à l'école et apprend plusieurs langues avec facilité. Il se passionne pour tous les arts. En 1915, il entre à l'Institut des Ingénieurs Civils de Petrograd. En 1918, abandonnant ses études, il s'engage dans l'Armée Rouge et part, volontaire, pour le front. Ces expériences sur le terrain vont permettre l’éclosion de son esthétique, liée irréductiblement au politique et à la société. S’exprimant sur les liens qui ont pu naître entre un mouvement historique de l’ampleur de celui qu’a connu la Russie en 1917 et son propre parcours intellectuel et artistique, Eisenstein déclarait : « La révolution m’a donné ce que j’ai de plus cher dans la vie, elle a fait de moi un artiste…et si la révolution m’a conduit à l’art, l’art à son tour m’a entrainé tout entier dans la révolution ». Désormais, le cinéma d’Eisenstein portera toujours la marque de la révolution.
Démobilisé en 1920, il devient metteur en scène et décorateur de théâtre ("Le Mexicain", d'après Jack London). Il fait ses débuts au cinéma en 1923, avec Le Journal de Gloumov, un petit film burlesque inséré dans une représentation théâtrale et publie, la même année, ses premiers écrits théoriques sur le "montage-attraction". Il y explique l’importance du montage qui est bien souvent relégué au second plan "l’Amérique n’a pas compris le montage en tant qu’élément nouveau, possibilité nouvelle (…) L’Amérique est honnêtement narrative, elle ne construit pas son « potentiel éducateur » sur le montage". Il invente donc le montage parallèle qui consiste à créer une dynamique visuelle par le choc de deux plans accolés l’un à l’autre. En d’autres termes, la linéarité narrative est perturbée au profit d’une expérience sensorielle. On passe de l’image-temps qui se fonde sur une succession d’actions logiques à l’image mouvement qui permet de dynamiser l’intrigue et de créer un certain malaise chez le spectateur qui se trouve déstabilisé par le raccord illogique entre deux plans.
En 1924, Eisenstein travaille au montage de la version russe du Docteur Mabuse, le joueur , de Fritz Lang et réalise son premier long métrage, La Grève. Il y relate une grève d’ouvriers dans une usine tsariste et y dénonce la mainmise des patrons sur les travailleurs. Il y donne à voir la foule et prend ainsi le contre-pied du cinéma traditionnel qui s’attache à des entités et à mettre en scène des personnages singuliers. Dans ce film, le personnage principal c’est le peuple ouvrier, il y développe donc ce que l’on pourrait appeler une "poésie de masse". La référence théâtrale y est évidente, l’histoire qui se déroule en 1912 est une « ciné pièce en 6 actes » et marque un tournant dans le cinéma soviétique. Le film évoque tout à la fois un problème social ancré dans un contexte précis et dans l’Histoire et fait appel, dans un même temps, à des procédés purement cinématographiques qui vont faire évoluer le langage.
L'année suivante, à l'âge de vingt-sept ans, il réalise son chef-d’œuvre Le Cuirassé Potemkine (qui sera reconnu à deux reprises comme l’un des meilleurs films de tous les temps). Il y relate encore une fois un événement réel, celui du soulèvement d’une mutinerie du cuirassé Prince Potemkine en 1905 qui déclencha une répression sanglante du pouvoir tsariste contre les habitants d’Odessa qui s’étaient solidarisés avec les marins en lutte. Eisenstein alterne habilement les gros plans sur les visages effrayés et les scènes de foule. On retient de ce film des scènes célèbres dont celle de l’escalier avec le landau, maintes fois reprise et revisitée. Ce film a été perçu comme l’aboutissement de l’esthétique du réalisateur qui mêle aspects documentaires et rigueur stylistique avec brio, ce qui fera dire à Douglas Fairbanks que ce film « c’est le désespoir stylisé ».
Un an plus tard, sort Octobre qui revient sur les événements de 1917 à l’occasion du 10ème anniversaire de la révolution. Conçu comme une chronique des événements qui anticipent le soulèvement généralisé d'octobre 1917, le film est la première grosse production du réalisateur. Des milliers de figurants, ouvriers, soldats et marins, participent au tournage de certaines scènes, telles la prise du Palais d'Hiver, l'intervention du croiseur "Aurore", la manifestation et la fusillade sur la perspective Nevsky. Changement de décor pour La Ligne générale qui s’intéresse au sort des paysans traités en esclaves par de riches koulaks. En 1930, il s’exile au Mexique pour tourner son Que viva Mexico! qui ne verra le jour que dans les années 1970.
De retour en U.R.S.S., Eisenstein entreprend alors son premier film parlant, Le Pre de Bejine, d'après Ivan Tourgueniev qui demeure inachevé. Eisenstein est pour la première fois victime de la censure. Le film est interdit et détruit en 1937 pour « mysticisme et formalisme ». Pourtant il continue sur sa lancée avec un nouveau projet et non des moindres : celui d'Alexandre Nevski (1938). Il subit un contrôle très serré de l’administration lors de l’écriture et de la réalisation de ce film considéré comme un film officiel. Fondé sur le contrepoint des images et de la musique de Prokofiev, le film brille également par la reconstitution du Moyen Age russe au XIIIème siècle. Attaquée par les chevaliers teutoniques alors qu’elle est encore dominée par les Tatars, la Russie est sauvée grâce à l’action d’Alexandre Nevski. En filigrane, Eisenstein évoque la menace de l’Allemagne nazie.
Les films suivants auront la même facture, Eisenstein est soumis à l’art officiel. Le premier opus d'Ivan le Terrible sort en 1941 et est une commande personnelle de Staline. Initialement prévue en 3 parties, le film devait réhabiliter la figure d'un despote, au nom de son « progressisme historique » supposé. La première partie correspond à la prise du pouvoir par le tsar - elle reçoit le prix Staline ; la seconde ("Le complot des boyards") est interdite et les plans enregistrés de la troisième sont finalement détruits. Deux ans plus tard, victime d'une maladie de cœur et des difficultés imputables à son indépendance d'esprit, Eisenstein succombe à un infarctus à l’âge de 50 ans à Moscou, dans la nuit du 10 au 11 février 1948. Il disait à la fin de sa vie qu’il était prêt à payer le charme de l’excessif et du suraigu et il l’a montré brillamment.