Futur père d’une fratrie qui connaîtra des succès artistiques divers (Chris Carradine, David Carradine, Keith Carradine et Robert Carradine), John Carradine fut sans doute un des acteurs les plus prolifiques à Hollywood. Avec près de 300 films au compteur en plus de soixante ans de carrière, surpassant même son contemporain Christopher Lee et ses quelques 200 films, John Carradine a tout tourné, tout accepté, ou presque. Jalonnée par une quantité industrielle de nanards et autres productions louches de série Z pour le grand et petit écran, sa carrière n’en reste pas moins émaillée de plusieurs chefs-d’œuvres absolus, tournés avec quelques-uns des plus grands réalisateurs hollywoodiens de l’époque.
Né le 5 février 1905 à New York, John Carradine -Richmond Reed Carradine de son vrai nom- grandit au sein d’un foyer aisé. Son père, William Carradine, est correspondant pour l’Associated Press ; sa mère, Geneviève Richmond, est chirurgien. A cette époque, rares sont les femmes à accéder à un tel métier et niveau de responsabilité. Grandissant dans la propriété familiale de Poughkeepsie, John révèle assez tôt ses penchants artistiques. Il étudie la peinture et la sculpture à l’école d’arts graphiques "Episcopal Academy" de Merion, en Pennsylvanie. Au début des années 1920, il commence à gagner sa vie en sillonnant le sud des Etats-Unis, pour y vendre ses dessins. En 1925, il débute sur les planches à la Nouvelle Orléans, sous le nom de Peter Richmond, dans "La Dame aux camélias", d’après Alexandre Dumas Fils. S’installant à Los Angeles en 1927, il travaille d’abord dans un petit théâtre local. Puis décide de répondre à une annonce pour un travail de décorateur de scène pour Cecil B. DeMille, qui ne retient pas sa candidature. En 1930, il réussit à faire ses premiers pas au cinéma devant la caméra de Michael Curtiz, en incarnant un reporter (non crédité au générique) dans Brights Lights.
Durant une quinzaine d’années, il enchaîne la figuration et les petits rôles dans plusieurs dizaines de films, parfois sous la direction d’importants réalisateurs. Citons à ce titre Cecil B. DeMille (Le Signe de la croix, Cléopâtre) ; James Whale, pour lequel il tourne dans L' Homme invisible et La Fiancée de Frankenstein ; ou encore Henry Hathaway dans To the Last Man, en 1933. En 1935, il prend définitivement comme nom de scène John Carradine. Il prouve, notamment sous la direction du grand John Ford, qu’il est loin de se cantonner aux rôles de faire-valoir ; et-ce dès 1936 avec Marie Stuart. C’est d’ailleurs le début d’une riche collaboration entre lui et le metteur en scène, qui non seulement s’épanouira sur onze longs métrages jusqu’aux Cheyennes, en 1964, mais accouchera presque à chaque fois de chefs-d’œuvre : Je n'ai pas tué Lincoln, Sur la piste des Mohawks, La Chevauchée fantastique, L' Homme qui tua Liberty Valance…Excellent général Sebastian dans Quatre hommes et une prière, il campe un mémorable révérend Jim Casey face à Henry Fonda dans Les Raisins de la colère, adapté de John Steinbeck. "Ford était un homme étrange" se souviendra-t-il des années plus tard ; "il fallait savoir comment faire avec lui. Les acteurs étaient terrifiés avec lui, parce qu’il aimait justement les terrifier. C’était un sadique".
Avec sa silhouette longiligne (il mesure 1m86), son nez aquilin, son visage émacié, son regard perçant qu’il sait rendre inquiétant, il fait merveille dans les films fantastiques qu’il a commencé à tourner depuis L' Homme invisible de James Whale, en 1933. Un genre auquel il restera d’ailleurs attaché, avec plus ou moins de bonheur, tout au long de sa carrière. Jusqu’à son ultime contribution au grand écran, dans le pourtant très oubliable Enterré vivant (1990) de Gérard Kikoïne, qui avait fait un détour par la case X à la fin des années 70-80. Avec La Maison de Dracula en 1945, Carradine devient ainsi le premier acteur à endosser les habits du comte après l’illustre Bela Lugosi, et bien avant Christopher Lee. Citons également d’autres productions comme La Maison de Frankenstein, La revanche de l’homme invisible,The Mummy's ghost…Dans la même période, loin des Universal Monsters, il trouve des rôles puissants dans des films qui, s’ils peuvent être taxés d’œuvres de propagande car tournées en pleine guerre, restent des chefs-d’œuvre. D’abord chez Fritz Lang, dans l’extraordinaire Chasse à l'homme (1941), où il donne la réplique à Walter Pidgeon et George Sanders. Puis chez Douglas Sirk, où il campe le terrifiant Reinhard Heydrich, bras droit de Himmler dans Hitler's Madman (1943).
Dans les années d’après-guerre, il s’éloigne des plateaux de tournages de films pour se consacrer à ses activités théâtrales, qui le conduisent jusqu’à Broadway, avec des pièces comme "Galileo" (1947) de Bertolt Brecht, "Volpone" (1948) de Ben Johnson, "La folle de Chaillot" (1950) de Jean Giraudoux ou "The time of your life" (1955) de William Soroyan. Dans les trois décennies suivantes, il alterne avec plus ou moins de bonheur les rôles pour le petit et surtout grand écran. Il tourne dans tous les genres, du western (L' Homme du Kentucky, de et avec Burt Lancaster; Johnny Guitar de Nicholas Ray) au Péplum (lLes Dix commandements) en passant par des drames (Bertha Boxcar de Martin Scorsese ; Le Dernier Nabab d’Elia Kazan), l’épouvante avec l’efficace Hurlements, considéré comme un des meilleurs films de loups-garous ; sans oublier la comédie chez Woody Allen (Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe... sans jamais oser le demander).
De bons films, qui surnagent malheureusement dans un océan de choix artistiques incertains, où il court le cachet dans des productions telles que ce Commando des morts-vivants ; Les guerriers des étoiles, Bigfoot et autre Nocturna. En 1982, il prête sa voix au personnage du Grand Hiboux dans le superbe film d’animation Brisby et le secret de Nimh, signé Don Bluth. C’est Francis Ford Coppola qui lui offrira une de ses dernières apparitions au cinéma, dans Peggy Sue s'est mariée, en 1986. L’acteur décède de vieillesse, le 27 novembre 1988, à Milan, à l’âge de 82 ans.
Auteur : Olivier Pallaruelo