Né à Tokyo mais élevé à Matsuzaka, non loin de Nagoya, celui qui deviendra pour beaucoup le plus japonais des cinéastes se découvre très jeune une passion pour le cinéma, notamment américain et européen (via le Civilisation de Thomas H. Ince, Charlie Chaplin, Friedrich-Wilhelm Murnau et plus tard Ernst Lubitsch, entre autres). Revenu à Tokyo, Yasujirō Ozu échoue à l’examen d’entrée à l’université, et finit par décrocher un poste d’instituteur dans un petit village de montagne, où il restera une année, avant un nouveau retour à la capitale. En août 1922, il est engagé via des relations aux studios Shochiku en tant qu’assistant-opérateur, puis promu au grade d’assistant-réalisateur. Il signe son premier film en tant que réalisateur en 1927, Le Sabre de pénitence, inspiré par le Kick-In de George Fitzmaurice : un film achevé par Torajiro Saito, Ozu étant appelé sous les drapeaux en plein tournage, et une œuvre aujourd’hui perdue, qui marque sa première collaboration avec Kogo Noda, lequel allait devenir son scénariste attitré.
De retour du service en 1928, il signe aussi bien des comédies slapstick (La Citrouille, 1928) que des comédies de mœurs (J'ai été diplômé mais...) ou des films de genre (films noirs, films de gangsters), évoluant rapidement vers un style plus personnel, avec Choeur de Tokyo (1931) ou Gosses de Tokyo (1932). De même qu’il rechignera plus tard à passer à la couleur, le cinéaste se refuse à abandonner le muet jusqu’en 1936, année où il franchit le pas avec Le Fils unique, son premier parlant. Enrôlé ensuite durant presque deux années dans l’armée impériale nippone, il écrit à son retour un scénario (Le Goût du riz au thé vert) qui, rejeté par la censure, ne sera tourné que de longues années plus tard, en 1952. Entretemps, pendant la guerre, Ozu tourne deux nouveaux films (Les frères et soeurs Toda, 1941 ; Il était un père, 1942), avant d’être envoyé à Singapour diriger un film de propagande, dont il ne tournera que quelques plans. Fait prisonnier par les Britanniques à la fin de la guerre, il rentre au Japon en 1946, et réalise pour la Shochiku Récit d'un propriétaire (1947) et Une poule dans le vent (1948). L’année suivante, il retrouve Kogo Noda pour Printemps tardif, qui ouvre une période (s'étendant jusqu'à sa mort) communément considérée comme l’apogée de son œuvre, et composée de treize films.
Poursuivant son étude de la famille japonaise confrontée aux évolutions sociales avec Eté précoce (1951), le cinéaste réalise en 1953 son film le plus célèbre, Voyage à Tokyo, soit la visite rendue par un vieux couple à ses enfants installés dans la capitale. Adepte des plans fixes, « tableaux » capturés « à hauteur de tatami » par une caméra positionnée très bas, observateur de plus en plus affirmé de l’intimité japonaise et de la cellule familiale, Ozu affine et épure depuis les années 1930 son esthétique, s’émancipant progressivement des influences occidentales, et déployant une mise en scène d’une aussi grande sobriété que les intrigues de ses films. Après le sombre Crépuscule à Tokyo (1957), il signe avec Herbes flottantes (1959) une réécriture d’Histoire d'herbes flottantes (1934), et reprend en 1960, dans Fin d'automne, le thème de Printemps tardif, après être finalement passé à la couleur en 1958 pour Fleurs d'équinoxe. En 1962 sort son dernier film, Le Goût du saké.
Longtemps méconnue du public occidental, alors que ses compatriotes Akira Kurosawa et Kenji Mizoguchi bénéficiaient d’une reconnaissance internationale, rarement présentée en festival par un studio qui la jugeait trop spécifiquement japonaise pour s’exporter, l’œuvre d’Ozu finira toutefois par rencontrer un plus large public international après la mort du réalisateur, avec notamment la sortie dans les salles françaises de Voyage à Tokyo (et de quelques autres films)… en 1978. Quinze ans plus tôt s’était éteint le cinéaste, emporté par un cancer le jour même de son soixantième anniversaire, le 12 décembre 1963, peu de temps après sa mère, auprès de laquelle il avait quasiment toujours vécu, lui qui ne s’était jamais marié. Ozu est l’auteur, tous métrages confondus, de 54 films (parmi lesquels 35 muets tournés entre 1927 et 1936, dont 17 sont aujourd’hui considérés comme totalement perdus).