Verrez vous un jour Cham en salle? C'est le genre de film qui, je le crains, ne trouvera jamais sa place. Bien que Touch ait été plusieurs fois primé aux États Unis. Aussi, quand on nous raconte que le cinéma américain est bien moins "créatif", "intelligent" que le cinéma français, y a de quoi rigoler. Bref, c'est grâce au ciné club de La Clé (cineclub.yda@gmail.com) qu'il a été diffusé. L'auteur, Nguyen Duc Minh, vit aux États Unis, où il a fait des études classiques, puis des études de cinéma et ce n'est que dix ans après celles ci qu'il s'est lancé dans son premier film.... dans lequel il ambitionne de s'adresser à un double public. Ça se passe dans une onglerie, et c'est très typique car c'est un négoce que de nombreuses familles vietnamiennes ont monté. C'est un point de rencontre entre eux, mais aussi avec les autres communautés. Il faut voir les petites manucures se moquer de leurs clientes en revenant à leur langue maternelle.... Toutes ces scènes sont excellentes, les petites dames adorant les conversations salaces et les plaisanteries olé-olé, même si, en fait, même la plus délurée du lot qui fait la bringue et fume du hasch ne couche pas.... Pruderie américaine ou pruderie vietnamienne? Un jour, Brendan (John Ruby) passe la porte du salon. Ses mains sont dégueulasses, encrassées de cambouis: il est mécanicien dans un garage. Il est marié à une intello, une avocate d'affaires très ambitieuse, et entre eux, le courant passe de moins en moins, ils ne couchent plus ensemble, ils ne parlent plus.. Pour Brendan, ces mains, ces mains d'ouvrier sont la cause ou plutôt le symbole de la ruine de son mariage. Il voudrait retrouver de belles mains. La patronne de l'onglerie (un personnage typique de l'imagerie vietnamienne, la quinquagénaire "arrivée", mélange de management dictatorial et de paternalisme, avec une bonne dose de gaillardise) le confie à Tam, (Poter Lynn Duong, actrice elle aussi autodidacte puisqu'elle a commencé par être vétérinaire....) une petite nouvelle. Non seulement Tam va faire de belles mains à Brendan, mais elle va lui apprendre à toucher, à caresser, à avoir aussi des attentions pour l'épouse. Les leçons vont très loin, puisqu'elles se poursuivent chez Tam, dans sa baignoire... -en tout bien tout honneur, même si le désir monte entre les deux jeunes gens. Bref, Brendan reconquerra son ambitieuse moitié (on y croit très moyen...) et Tam épousera un brave garçon de sa communauté.
Ce personnage de Tam est touchant parce qu'il a une histoire. La jeune fille s'occupe de son père infirme -dur, voire méchant. Elle a beaucoup aimé sa mère, maintenant disparue. Petite fille, elle adorait se coller contre ses jambes, comme un petit chat, mais le père ne le supportait pas, jusqu'à l'enfermer dans un placard: les caresses, c'est bon pour les sauvages. Arrivés aux États Unis, il fallait vivre comme les américains (du moins, à son idée!), c'est à dire, proscrire les débordements affectifs entre parents et enfants. Cela me rappelle ce que m'ont raconté bien des enfants de boat peoples, atterris en France, cette volonté farouche de leurs parents, transportés dans un pays qu'ils n'avaient pas choisi, de s'y fondre, de s'y assimiler, d'y être parmi les meilleurs.... Ce sont les plus jeunes maintenant qui sont à la recherche de leurs traditions. Bref, Tam est dans un manque affectif total, en manque de toucher, en manque de peau, depuis son enfance... Ce film marque bien la double empreinte des deux communautés: américain, il l'est, au début, par sa structure de comédie. Vietnamien, par sa subtilité, sa fin douce amère. En dépit de ses maladresses, c'est un beau film. Le verrez vous un jour?