Quoi de plus logique en ce 31 Octobre, de parler d'un des meilleurs films réalisés par John Carpenter : Halloween, la nuit des masques. Une nuit d'Halloween de l'année 1963 à Adonfield, petite ville des Etats-Unis, un petit garçon, Michael Myers, tue sa soeur aînée en la poignardant sauvagement. Suite à ce tragique évènement le jeune garçon est interné dans un asile psychiatrique. Quinze années passent, durant lesquelles Michael, muré dans son silence, est suivi par le Docteurr Loomis. Un soir, alors que le docteur s'apprête à effectuer son transfert, un incident se produit et Michael s'échappe de l'asile. Il retourne alors à Adonfield, la ville où s'est produit le triste évènement de 1963, et la nuit d'Halloween s'en prend à un groupe d'adolescents. Pour bien comprendre la force de ce film, il faut le replacer dans son contexte : Au début des années 70, le relâchement de la censure permet aux auteurs de se laisser aller dans l’exhubérance et la surenchère graphique, et de mettre en scène des personnages extrêmes, comme les psycho-killers, avec une radicalité et un luxe de détails jamais égalés jusqu’alors. Les adolescents sont dépeints par la société et par l'Amérique, comme des êtres sexués multipliant les expériences et les partenaires, au grand dam de la morale. Il n’est donc pas étonnant de voir le thriller s’épanouir en ce milieu des années 70 afin de punir les ados trop libidineux.John Carpenter s'empare avec brio de cette volonté de punir la jeunesse libertine, en créant une incarnation du légendaire croque-mitaine (boogeyman) en lieu et place du personnage énigmatique de Michael Myers. A la frontière entre le thriller classique et le film d’horreur, Carpenter crée ainsi un sous-genre appelé le slasher.
Là où Carpenter détruit les codes établis du tueur banale, il le pose brillamment en impliquant le spectateur sur la scène d'ouverture :
. Le film s’ouvre sur une scène de meurtre particulièrement inconfortable,puisqu’elle place le spectateur-voyeur dans la tête du tueur par l’ingénieux procédé hitchcockien de la caméra subjective Mais la découverte fondamentale demeure celle de l’identité du tueur : un simple enfant en costume de clown, muni d’un couteau de cuisine qui vient de tuer sa soeur à moitié nue. Pulsions, jalousie, envie, jamais nous ne le saurons car dès lors que la police l'arrête Michael se ferme dans un mutisme absolu, comme si il n'avait pas d'âme.
. Lors de son évasion, 15 ans plus tard, le Docteur Loomis, le définissant comme le mal absolu, la "chose" à abattre, se lancera à sa poursuite
et tentera d'avertir la police d'Adonfield, de la grande menace qui pèse sur ses habitants.
Joué par un Donald Pleasence parfait dans son rôle il s'avère être un médecin terrorisé, à l'objectivité envolée depuis des lustres (à raison), et dont les tirades cultes sont plus empreintes de mysticisme au croquemitaine en définissant Myers, que de références à de quelconques pathologies médicales véritables. Mais le tueur, affublé d'une tenue d'ouvrier volé, et le visage caché d'un masque blanc inexpressif, (rappelant le visage en masque de William Shatner dans la série Star Trek) devient tel un croquemitaine sans âme car sans regard, deux orbites d'un noir profond, insondables, marquant son faciès de faucheur moderne. Il est imposant, implacable, rôde et joue avec ses victimes avant de les assassiner sans la moindre émotion, sans mobile, sans passion, ni animé par le moindre désir de vengeance. Plus qu'un tueur Michael est le Mal personnifié, vision du diable moderne qui punit les pêcheurs (des adolescents peu vertueux qui boivent, font l'amour en cachette et fument).
Brillant, Carpenter insinue que le Mal absolu règne partout et qu’il peut frapper n’importe quel adolescent.
Suite à une rencontre fortuite entre Laurie Strode, une jeune babysitter (interprété magistralement par une Jamie Lee Curtis très juste dans son jeu), et ses amis, Il décide de la suivre. A ce titre, la scène de la sortie des classes où Myers suit Laurie Strode, installe une angoisse qui jamais ne disparaîtra, montrant un tueur froid et impavide, mais surtout sûr de lui et inhumain. Il n’hésite pas d’ailleurs à se mettre en danger en s’exposant, montrant de ce fait une totale maîtrise de soi, à moins que ce ne soit vraiment que de la folie pure. Car de ce tueur, on en saura peu, si ce n’est qu’il a tué sa sœur et n’a plus jamais parlé depuis.Ainsi quand Myers suit Laurie, ses apparitions en bordure d’écran , un coup une épaule, un coup le buste, où bien sa silhouette dans l’obscurité, font d’autant plus sursauter qu’elles sont imprévisibles et renforce l’impression de toute-puissance laissé par Myers, mystérieux tueur aux motivations incertaines.
La position de la caméra et ses mouvements sont parfaitement bien étudiés, alternant plans fixes dans lequel déboule un coup le tueur, un autre un flic, et de longs et lents travellings, jamais inutiles car l’action ne s’arrête jamais. Le film se déroule d’ailleurs sur une journée, de l’évasion de Myers, qui nous vaut une première apparition qui démontre toute sa folie à sa confrontation avec Laurie. Myers est une machine à tuer. Voilà comment Carpenter nous le présente. Et c’est en cela qu’il est d’autant plus effrayant.
La présence de Michael Myers est perceptible dans chaque plan du film. On ne compte plus les scènes où l'on aperçoit «the shape» en arrière plan. Il est partout, ce qui le propulse finalement comme véritable entité diabolique, que même la mort ne pourrait arrêter. Les plans sont extrèmement bien choisis selon les circonstances (le scope est employé malicieusement), les travelling au steadycam sont fluides. La mise en scène n'est jamais en défaut, teinté d'une musique minimaliste mais pourvoyeuse de frissons, et des plans dévoilant Myers de toute beauté, notamment quand il observe ses proies.
Et le plus, c’est cette fameuse vue subjective, où l’on est Michael Myers et où l’on se met dans ses pas pour poursuivre ses victimes. Une idée géniale, surexploitée par la suite jusqu’au dégoût, mais qui ici passe remarquablement toujours bien.
Quand on parle d'Halloween comment ne pas évoquer sa bande son ? Comme dans nombre de ses œuvres, le réalisateur cumule les postes et signe ici une bande son superbe, devenue culte elle aussi, en parfaite adéquation avec l'univers du film. Le génialissime thème principal constitué de quatre notes magnifie les images.
Comment ne pas succomber au charme de ce mythe ? Pour peu que l'on soit fan de ce genre horrifique à part entière, toutes les constantes dont nous nous régalons sont de la partie (il faut dire aussi qu'elles proviennent en grande partie de ce film) : la petite ville américaine, ses allées caractéristiques des quartiers résidentiels, la Baby Sitter, les autorités peu compréhensives…
Malgré cela, certains ont une approche réticente de La Nuit des Masques, et c'est compréhensible, car cela dépendra de la sensibilité et l'âge de chacun.
Il est vrai que les ficelles inhérentes à ce genre maintenant codé et au scénario devenu banal sont connues. Les meurtres du film peuvent paraître «gentils» pour la nouvelle génération. Certains pourraient le trouver long voire ennuyeux, le rythme n'étant pas effréné.
Cependant Carpenter n'a jamais voulu faire un film aux scènes choc avec un flot d'hémoglobines, mais bien une oeuvre où la terreur soit proche du quotidien, du banal, où la tension va crescendo et demeure palpable dans chaque scène du film.
En somme, Halloween la nuit des masques est un film culte, jamais égalé tant la froideur de ce personnage qu'est Michael Myers, la patience, l'acharnement à tuer ses victimes sans aucune motivation, en ont fait une icône du Boogeyman actuel. Un film absolument culte et un chef d'oeuvre de John Carpenter.