« Le sauvage » ou l’histoire de Martin, homme d’affaire retiré de son activité de création de parfums, parti vivre en Robinson Crusoé du XXe siècle sur une ile déserte au large du Venezuela et dont la vie tranquille va être immanquablement perturbée par la tornade Nelly, jeune Française fuyant un mariage contraint. Le film aurait pu s’intituler « Les Sauvages » voire « La Sauvage », tant cet adjectif décrit bien le comportement de Nelly, jeune femme rebelle qui ne recule devant rien et est prête à toutes les supercheries pour parvenir à ses fins.
La première partie du film se résume à une course-poursuite rocambolesque au cours de laquelle Nelly a à ses trousses successivement son futur mari dans un hôtel de Caracas, puis ce dernier et son ancien patron dans les rues de la capitale vénézuélienne et enfin Martin dans son ile paradisiaque. Seul un ananas coupera Nelly dans son élan. Avec la scène de l’ananas, s’ouvre la seconde partie du film qui fait place à l’histoire d’amour entre Martin et Nelly, histoire d’amour qui semble dès le départ inévitable dans ce genre de grande comédie d’aventure à la française et qui s’était déjà traduite quelques années plus tôt dans des films tels que « Mon Oncle Benjamin », ou « Le Magnifique ».
La musique de Michel Legrand, les dialogues de Jean-Loup Dabadie ainsi que la fluidité du montage et de la mise en scène donnent au film son rythme endiablé. Les scènes se succèdent sans que le spectateur ait le temps de reprendre son souffle. Ce rythme endiablé est ce qui a fait la marque de fabrique des films de Jean-Paul Rappeneau et qu’on retrouve dans « Tout feu, tout flamme », « Cyrano de Bergerac » ou « Bon voyage ». On regrettera en revanche, la partie « business » du film, qui, si elle permet de mieux comprendre le personnage de Martin en explorant son passé et en justifiant son aversion pour l’aspect matériel et pécunier de chaque chose, casse quelque peu le rythme du film et atténue le caractère poétique et le côté exotique de l’histoire d’amour entre Martin et Nelly.
Film destiné au grand public, « Le sauvage » n’échappe pas à quelques scènes comiques façon « tarte à la crème », le meilleur exemple étant sans doute le saut à pieds joints dans le « Lautrec ». Ce côté « grand public » n’empêche toutefois pas le film de jongler habilement entre quatre langues (français, espagnol, anglais, italien) donnant ainsi beaucoup de crédibilité à cette aventure déroutante tournée sous le soleil du Venezuela, chose que ne parviendra pas à faire, par exemple, quelques années plus tard Francis Veber avec « La chèvre » dans lequel tous les personnages mexicains sont parfaitement francophones.
Autre aspect soigné du film : l’interprétation d’Yves Montand et de Catherine Deneuve. Leur duo fait de tensions et de complicité entre deux personnages aux objectifs aussi dissemblables, est une réussite. Deneuve, s’en sort très bien dans un registre comique auquel elle était peu habituée. Son personnage n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui de Julie Roussel qu’elle interpréta quelques années plus tôt dans la « Sirène du Mississipi » de Truffaut : même obsession pour l’argent, même fuite en avant, même capacité d’usurpation, même facilité à se laisser soudainement subjuguer par l’amour…
Le film n’a pas pris une ride, bien au contraire. La frugalité du personnage de Martin vivant au contact direct de la nature loin des gratte-ciels de Manhattan, qui symboliseraient aujourd’hui la mondialisation, lui donne un côté fable écologiste très en phase avec l’air du temps. On quitte cette escapade d’1h45 avec un sentiment de bonheur et d’exotisme, l’esprit encore envahi par la couleur turquoise de la mer des Caraïbes, la musique de Michel Legrand et les dialogues de Jean-Loup Dabadie.