L'un des films qui, avec Bonnie and Clyde et Rosemary's Baby, ouvrait le Nouvel Hollywood, portait déjà en lui ce mouvement de contestation (ou du moins de décalage critique, puisque le mouvement sombrera rapidement dans une désillusion qui le poussera à préférer les grands films mélancoliques à une recherche positiviste) envers l'American way of life des années 50 et le cinéma classique qui lui servait de vitrine. Le personnage de Dustin Hoffman, tout d'abord apathique au point d'en être agaçant, subit en effet longtemps les diktats d'une société parentale et de son bonheur pré-fabriqué qu'il finira par trouver la force de mettre à mal, inspiré par un amour pour Katharine Ross aux allures de Révélation. Si le réveil progressif du personnage est plutôt stimulant, il le doit surtout à la mise en scène de Mike Nichols, calibrée à la perfection et pensée autant comme une prison que comme une invitation insistante à faire exploser celle-ci. Tout du long sommeille en effet une vitalité souterraine, qui couve en attendant qu'on la laisse exploser. Parce que les cadrages de Nichols sont trop calculés, trop chargés de symbolique et trop déroulés sur un ton railleur pour qu'on prenne au sérieux le cadre qu'ils mettent en place comme un univers dramatiquement rigide et impossible à dépasser. Superbement mis en boîte, le récit pourrait quand même paraître un peu trop simple dans ses intentions, un peu trop facile à épuiser jusqu'au bout. C'est sans compter sur ce plan final sur les deux jeunes gens réunis, qui s'étire bien au-delà du nécessaire et voit leur sourire virer progressivement à deux masques incertains, perplexes et même effrayés. Si le plan dit toute la difficulté de construire quelque chose de durable après s'être débarrassé de ses chaînes, il va même bien plus loin et éclaire à mes yeux rétrospectivement tout le film d'un éclairage opaque et mélancolique. Comme une séquelle d'une aliénation depuis trop longtemps ressentie et que le ton hoquetant (visistant différentes nuances de la satire au drame) du film faisait sans arrêt ressentir, cette image laisse planer une ombre sur le futur des deux personnages, dont on craint finalement qu'ils aient trop longtemps vécu sous le joug pour savoir se mouvoir libérés. Constamment sur le fil, Le Lauréat est une oeuvre complexe, autant comédie romantique avant l'heure que tournant dans l'industrie hollywoodienne et film sur une époque qui se cherchait avec la peur de trop ressembler à celle qu'elle fuyait. Un classique.