Côtoyer Akira Kurosawa a du bon, même si ce n’est que pour un petit rôle ou pour des collaborations mineures. Dans « Chien enragé », Ishirô Honda prenait déjà position dans le rôle d’un méchant. C’est alors à son tour d’en créer un à son image ou presque. Le cinéma japonais connaît un essor certain avec des artistes qui composent avec le lyrisme de la culture locale. Honda explore donc une des cicatrices du pays, une qui marque un profond traumatisme dans les esprits. La période d’après-guerre résonne comme une allégorie pour le Japon et ses citoyens qui ont donné corps et âme pour la paix. Mais elle s’avère impossible à considérer dès lors que la guerre est en marche, tout comme le monstre qu’ils ont réveillé par mégarde.
On y discerne une influence quasi-directe à « Le Monde Perdu » d’Harry O. Hoyt, mais avec une empreinte patrimoniale, car on le rappelle encore, c’est la guerre qui a forgé la légende ou le mythe qui guette les côtes japonaises. L’apparition du monstre gargantuesque fait office de métaphore, car elle rappelle la super arme américaine, qui a eu raison d’Hiroshima et Nagasaki. Le réalisateur l’assimile donc à une catastrophe, à la fois humaine et naturelle, car cette créature campe également sur des fondements écologiques. La crainte d’une troisième guerre mondiale est dans les pensées d’Honda, comme du monde entier, car les essais nucléaires se multiplient dans le pacifique. Godzilla est donc un rappel à l’ordre pour une population qui vivait paisiblement, jusqu’à ce qu’il s’avance vers Tokyo. Il brise la routine d’un Japon passive, observateur, mais victime de son impuissance face à l’envahisseur.
Le reptile radioactif rase donc tout sur son passage. On distingue alors deux types d’échelles. À taille humaine, on se soucie du bien-être commun, lorsque la politique ou la science n’intervient pas. On rappelle alors les nombreuses procédures, voire habitude d’un peuple qui doit se rendre à des abris ou encore la foule en panique et les enfants en pleurs. Ce mal ne peut donc être comprimé par le mal lui-même. Afin de l’empêcher de se « reproduire », il est nécessaire d’avoir recours à une arme, cette fois-ci dans les mains des Japonais au bord du gouffre. Mais cela résoudra-t-il tous les problèmes majeurs ? Cette question est nuancée entre les partis environnementaux, militarisés et pacifistes, ce qui rendra le long-métrage très poétique sur le plan moral et émotionnel.
« Godzilla » d’Honda est donc une performance technique, notamment dans l’incrustation des séquences catastrophe, mettant en avant le suit-motion. De plus, ce film aborde avec sérieux les thèmes de la catastrophe naturelle et du sacrifice. La science ne sera que l’arbitre au milieu de ce tourbillon de rage, qui laissera bien ses empreintes sur des terres nostalgiques. Entre effet documentaire et registre fantastique, l’œuvre a su s’approprier les caractéristiques d’un épisode horrifique, d’où son succès, aux dépens de la culture japonaise qui a tant souffert pour renaître et purifier son identité.