Cela fait 60 ans qu’il existe. 60 ans qu’il terrorise les Japonais. 60 ans qui figure au panthéon de la culture nippone. 60 ans que son nom résonne partout sur notre planète. Et 60 ans qu’il attendait un remake de grande ampleur digne de ce nom. Je veux bien sûr parler de Godzilla, le gros lézard qui revient nous voir en mai, dans un nouveau remake américain, qui s’annonce dantesque. Et pour cette occasion, je me lance le défi de voir tous les films dans lequel le Roi des Monstres apparaît. Soit une trentaine de long-métrages. Ne perdons donc pas de temps et commençons par le tout premier film ! Celui qui donna naissance à la légende qu’est aujourd’hui Godzilla ! Ou Gojira, en VO !
Les plus réticents peuvent encore se le demander : qu’y-a-t-il de si exceptionnel dans un film de monstre qui détruit tout ? Surtout que l’histoire ne semble pas aller plus loin que ce postulat. Celui d’un énorme dinosaure que notre présence dérange, l’incitant à tout détruire sur son passage. Que ce soit faire couler les malheureux bateaux de passage, écraser une maison comme si de rien n’était, démolir un immeuble comme un vulgaire château de cartes, enflammer tout un quartier… Tout en résistant aux tirs des avions de chasse et des tanks. En supportant un exceptionnel « coup de jus » qui ne fait que l’énerver encore plus. Bref, c’est juste un gros lézard qui fait boum boum en plein Tokyo, prêt à grignoter du train. Alors, oui, qu’y-a-t-il de génial dans un tel postulat ?
Si Godzilla existe, c’est grâce à King Kong. Le long-métrage qui a lancé la mode des monstres géants, icônes du divertissement cinématographique de série B (bien que King Kong se trouve bien au-delà de tout ça). C’est parce que King Kong a été un vif succès à l’international que les Japonais ont voulu leur propre monstre. Leur créature qui soit digne d’être à leur image. Et c’est ça, l’excellente idée de Godzilla : que le monstre soit un produit 100% nippon !
Quand on regarder Godzilla premier du nom, nous sommes obligés de nous plonger dans le contexte historique du Japon. 1954. Année qui précède la fin de la guère ? Pour les Japonais, bien plus ! Année qui précède les désastres d’Hiroshima et de Nagasaki. Année durant laquelle les habitants vivent encore dans la peau que cela se reproduise un jour. Voilà ce que représente Godzilla : le danger nucléaire faisant son retour et causant les mêmes dégâts qu’en 1945.
Car Godzilla n’est pas qu’un dinosaure. C’est une sorte de monstre préhistorique réveillé par des radiations et qui l’ont muté en quelque chose pouvant atteindre 80 à 100 mètres hauts. Pouvant cracher un souffle radioactif qui enflamme tout ce qu’il touche. Et qui, surtout, cause des dégâts aussi considérable qu’un bombe atomique. Un constat que met en valeur le réalisateur Ishirō Honda. En insistant bien sur les décors de mort que Godzilla laisse derrière lui (un amas de ruines sans vie). En prenant son temps de filmer tout ces blessés venant de sortir vivants (ou pas, tout dépend des corps que l’on voit à l’écran) via un travelling assez lent. Le tout accompagné d’une ambiance musicale souvent proche de l’apocalypse. Sans oublier tous ces petits détails qui mettent en valeur le statut « d’arme nucléaire » de Godzilla : compteur Geiser qui s’affole sur la moindre trace du monstre, autres animaux préhistoriques prenant vie comme l’immense bestiole…
Et les humains dans tout ça ? De la simple chair à canon ? De misérables fourmis destinées à finir sous les immenses pattes du monstre ? Au premier abord, on pourrait le croire, étant donné qu’ils ne pensent qu’à arrêter Godzilla et s’enfuir. Mais encore une fois, le film surprend même de ce point de vue ! Par le biais d’un scientifique qui met au point un nouveau gaz capable d’annihiler toute créature vivante, y compris Godzilla. Ce gaz, c’est la critique que lance le film sur le nucléaire. Dénonçant le fait que l’Homme ne pense qu’à créer des armes. Ou des moins de brillantes inventions qui peuvent être utilisées à mauvais escient. C’est pour cela que le scientifique en question préfère cacher son gaz. Pour éviter qu’il ne tombe entre de mauvaise main, pour empêcher que des hommes hauts placés ne l’usent pour leur quête de pouvoir. Voilà ce qu’est le film Godzilla : un divertissement sur le papier couillon comme toute série B de ce genre, mais bourré de détails scénaristiques et visuels intéressants, voire travaillés !
Après, l’âge du film ne joue pas vraiment en sa faveur. Notamment du côté des effets spéciaux, où l’on discerne sans mal les maquettes qui ont été utilisées pour les bâtiments en destruction. Construite à une échelle convenable pour le cascadeur interprétant Godzilla. Car oui, Godzilla est un bonhomme dans un costume rigide en latex. Qui peine à bouger les bras. Avec une tête aussi peu crédible que tout le reste (rien que le souffle nucléaire, représentée par une vulgaire vapeur). Une gueule qui s’ouvre de manière aléatoire, ne concordant pas souvent au mythique cri de la créature (créé à partir d’un gant en cuir frotté contre des cordes de contrebasse). Sans oublier des comédiens qui en font un peu trop par moment (une femme apeurée, jetant sa tête en arrière, les mains cachant ses yeux, et cela juste pour quelques poissons désintégrés).
Et puis, touchons quelques mots sur la version américaine du film. Car oui, il y a un montage de chez l’oncle Sam ! Pour que le film puisse être accepté par le public américain, qui jugerait scandaleux de voir ces Japonais « se plaindre » de ce qui leur est arrivé. Et pour cela, des séquences avec un journaliste yankee (joué par Raymond Burr) qui se permet de narrer ce qui se passe à l’écran (alors que nous n’en avons pas besoin) et d’apparaître à l’image quand bon lui semble. Des scènes qui n’apportent aucun intérêt au film lui-même, si ce n’est le plomber. Voilà comment gâcher un film quand le défaut en question ne le concerne pas directement !
Résultat pour ce Godzilla datant de 1954 : on est loin d’être avec un chef-d’œuvre entre les mains, les rides ayant fait leur affaire sur le film et cette sensation que les Japonais ont fait ce film à la va-vite (oubliant quelques effets sonores et prenant un mec en costume plutôt que de faire de la stop motion comme pour King Kong). Mais quand on voit le thème principal qu’aborde le film et la manière dont il le fait, on ne peut nier le côté « film d’auteur » que possède ce Godzilla. Oui, vous avez bien lu ! Car Godzilla, c’est ça : un film de monstre hautement intelligent, qui se permet d’émettre des critiques et de dénoncer la nature humaine. Avec ces atouts en mains, Godzilla avait tout pour devenir une légende. Et ainsi naquit le premier kaijū eiga, le film de monstres géants qui terrassent sur son passage et qui donna naissance à plusieurs rejetons qui connaîtront des succès similaires : Mothra, Gamera, Rodan… 60 ans qu’il règne en maître sur ce genre !