On m'avait déconseillé à de multiples reprises de voir Blues Brothers 2000 : le premier, excellente surprise, ne laissant présager d'aucune suite envisageable, le principe même de cette version modernisée était un contre-sens complet, allant dans le sens des critiques que mes collègues cinéphiles (et de beuverie) pouvaient proférer à chaque fois que j'évoquais le sujet. A le voir, est-ce si terrible? C'est encore pire.
Comme son nom l'indique, ce n'est pas une suite : cette version 2000 est une réactualisation qui suit la forme d'une copie conforme du premier volet coupée de l'énergie contagieuse du duo originel (John Belushi donnait des ailes à Dan Akroyd) et atteinte d'un ramollissement considérable de la mise en scène de John Landis, déjà présent comme réalisateur du premier film, qui perd toute âme et toute sympathie.
Monté comme un banal produit dérivé, uniquement pensé pour jouer sur la vague nostalgique d'un public qui leur amènera un nouveau public cible, les enfants : le personnage de J. Evan Bonifant, Buster, leur est directement adressé pour qu'ils y trouvent un vecteur d'identification et d'entrée dans un univers qui leur est pourtant bien étranger; de la danse et des chansons devraient pourtant, si l'on pense comme un producteur, plaire automatiquement à un public jeune si l'on ajoute un gosse insupportable et caricatural à l'ensemble.
Pas si ledit personnage est une satire insupportable du concept d'origine, et un si gros aveu de mépris envers le public jeune : s'il doit s'identifier à un être aussi stupide, caricatural et grotesque, c'est qu'il doit être un peu comme ça, au fond, le gosse qui va suivre ses parents dans cette galère. Non, c'est surtout qu'il doit être courageux de le supporter, lui qui ne fait jamais rire, ni même sourire, alors que c'est sa fonction première pour attirer.
De ce mépris ambiant ressort un autre symbole de ralliement, le remplacement de Belushi par John Goodman, affligeant, honteux, pathétique lors des scènes de danse et de comédie : l'on croirait apercevoir un collègue bourré, un peu obèse, faire une danse du ventre ou tenter un spectacle de claquettes à la sortie du bar à deux heures du mat', un soir en t-shirt gris, transpirant, le suivant en parodie de mauvais goût du Blues Brothers de 80.
La présence au casting de nouvelles anciennes stars du blues/rock/soul/funk/jazz atteste de la malhonnêteté de cette révision honteuse : le schéma du premier repris sans l'énergie de Landis, revenu de sa carrière en séries b pour nous pondre une oeuvre pleine d'espoir, dont celui de renouer avec un public ayant déserté les salles de cinéma où étaient projetés ses films, atteste du désespoir de la mise en oeuvre de ce projet : mais ce qui marchait vingt ans plus tôt ne fonctionnant plus forcément vingt ans plus tard, reprendre sans conviction ni inventivité une recette datée et datant d'une époque si particulière que celle des années 80 laissait courir l'entreprise à la débâcle totale, et le réalisateur à la fin brutale de sa carrière (qu'il entretint pour les années à venir au respirateur artificiel).
Le retour de certaines célébrités s'inscrivant dans une redit complète du film original marque surtout le poids des années : la conviction, évincée du tournage, et la bonne humeur disparue donnent lieu à un divertissement mou du genou, jamais original pour un sou et qui se contente de réécrire sans talent les grands passages du premier volet, en suivant la doctrine du surplus qui devient le mieux : deux fois plus de blues brothers pour un nom de groupe qui n'a plus aucun sens, si ce n'est celui de caricaturer au point de parodier une comédie musicale culte et influente.
La récurrence des caméos, décuplée depuis le premier film, aura beau tenter de palier les manques flagrants de l'intrigue (d'originalité, de cohérence et d'ambition), elle ne fera jamais oublier que Blues Brothers 2000, en plus de s'engouffrer dans un humour lourd et prévisible, ne contient aucun morceau marquant, aucune mélodie entêtante, aucune partition de chant que l'on aura envie de reprendre pendant, après le film et en plein karaoké, à deux heures du mat', en sortant du bar avec ses collègues.
Cet assemblage opportuniste de mauvais goût est une hécatombe qu'on serait tentés de vite oublier.