Venu du théâtre, John Cassavetes voulait absolument, pour son premier film, éviter de contraindre les acteurs avec des marques à conserver pour les scènes, comme c'était le cas sur les planches. Il ne voulait pas non plus les obliger à rester dans la lumière, en fonction des installations d'un technicien, comme au cinéma. Il a alors demandé à son chef éclairagiste David Simon d'offrir un espace suffisamment éclairé, pour permettre aux personnages d'évoluer librement, sans se soucier de la technique autour d'eux. Ces choix ont eu pour effet de libérer la caméra qui suit les acteurs, là où c'était l'inverse habituellement à l'époque. Ce parti pris de réalisation, à l'inspiration documentaire, allait donner des idées à la Nouvelle Vague et à des cinéastes comme Martin Scorsese quelques années plus tard.
Après avoir fini de tourner une première version de Shadows, John Cassavetes et ses producteurs ne furent pas satisfaits, et le cinéaste partit retourner une nouvelle version en l'espace de dix jours, en modifiant sa réalisation. Il avoue avoir décidé de faire cette deuxième version après avoir vu qu'il était plus fasciné par la caméra qu'il avait que par les personnages qu'il était censé mettre en exergue.
Les personnages du film sont incarnés par des comédiens quasi-amateurs que John Cassavetes et son ami Bert Lane ont recrutés après avoir monté leur propre atelier d'acteurs, le "Variety Arts Studio". Les deux amis venaient de louer un immense plateau où les techniciens et autres producteurs pourraient venir travailler. Mais devant le peu de réponse, ils décidèrent de permettre à tout le monde de proposer leurs services, et une multitude d'acteurs amateurs vinrent rapidement sonner à leur porte.
Réalisé à la fin des années 50, Shadows témoigne de la fièvre dont est éprise New-York avec la musique jazz. Le film peut d'ailleurs se targuer d'avoir une bande originale signée Charles Mingus, grand contrebassiste et pianiste de jazz, accompagné par un autre grand musicien du genre, le saxophoniste Shafi Hadi.
Shadows marque les débuts de John Cassavetes à la réalisation. Cet acteur de théâtre puis de cinéma, qui sera nominé pour 3 Oscars, réalisera par la suite 11 longs métrages de cinéma, dont certains classiques tels qu'Une femme sous influence (1974) ou Meurtre d'un bookmaker chinois (1976). Il laissera également une trace indélébile dans le cinéma américain et mondial, grâce à son style inimitable et ses histoires d'une grande humanité.