Cinquième long métrage de Jafar Panahi, Hors jeu a remporté le Grand Prix du Jury (présidé par Charlotte Rampling) au Festival de Berlin en 2006, ex aequo avec Soap de Pernille Fischer Christensen. Le réalisateur iranien est un grand habitué des festivals internationaux, dont il repart rarement bredouille : Caméra d'Or à Cannes en 1995 pour Le Ballon blanc, Léopard d'Or en 1997 au Festival de Locarno pour Le Miroir, il a remporté le Lion d'or à Venise en 2000 pour Le Cercle. Son précédent long métrage, Sang et or, avait été présenté sur la Croisette, dans le cadre de la section Un Certain Regard.
Le cinéaste revient sur la genèse du projet : "Il y a huit ans, l'équipe nationale iranienne battait l'Australie et se qualifiait pour la coupe du monde. Les joueurs reçurent un accueil triomphant de la part de la population. En Iran, l'entrée dans un stade de foot est interdite aux femmes. Mais cette fois-ci, près de cinq mille femmes passèrent au dessus de la loi et entrèrent dans le stade pour célébrer la victoire des joueurs. Cet évènement suscita de nombreux débats. Je me rappelle avoir lu à cette époque l'article d'un journaliste sportif qui expliquait que dans la Grèce ancienne les femmes étaient confrontées au même problème. Pour pouvoir supporter leurs fils qui étaient de vrais héros sportifs, elles se déguisaient en garçon. Il y a quatre ans, j'étais dans les gradins du stade où s'entraîne notre équipe nationale et à ma grande surprise, je reconnus ma fille, cheveux courts et chemise large, qui se faufilait parmi les hommes. L'idée du film est née ce jour-là. Quand j'ai réalisé que l'Iran était à nouveau sur le point de se qualifier pour la coupe du monde, j'ai décidé que c'était le moment de le faire.”
Depuis la révolution islamique en 1979, les femmes sont interdites d'entrée au stade en Iran. En avril 2006, le président Ahmadinejad a souhaité revenir sur cette décision, ce qui a provoqué la foudre des ayatollahs locaux, horrifiés par cette possible mixité. Le président a donc abandonné son idée de décret. Quant au film lui-même, il était toujours interdit en Iran au moment de sa sortie en France.
Hors jeu a été tourné le 8 juin 2005 pendant que se jouait Iran-Bahrein, match de qualification pour la Coupe du monde. Dans la première séquence, le spectateur s'invite dans le car des supporters qui partent assister à la rencontre, et le film s'achève avec leurs réactions à la fin du match. “Le film est construit sur le modèle d'un documentaire. L'endroit, l'évènement et les personnages sont réels", précise le réalisateur. "Par ailleurs, l'unité de temps donne au spectateur le sentiment de regarder un évènement qui se déroule en temps réel. Je voulais que l'action reflète cette ambiguïté entre fiction et documentaire. C'est pour cette raison que j'ai choisi de ne pas travailler avec des comédiens professionnels. Leur présence aurait introduit une notion de fausseté.”
Jafar Panahi revient sur les obstacles rencontrés au cours du tournage : “En Iran, il n'est pas très difficile d'obtenir une autorisation pour filmer un match de football, mais si vous filmez des filles dans un stade, ce n'est pas la même chose. Et puis nous savions que ma réputation en tant que réalisateur serait un problème. Nous avons essayé d'être très discrets, et évité tout contact avec la presse. Cependant, cinq jours avant la fin du tournage, un journal publia un article mentionnant que je tournais un nouveau film. Les militaires reçurent immédiatement l'ordre d'interrompre le tournage et de saisir mes rushes afin qu'ils soient vérifiés. J'ai évidemment refusé et dit à l'officier chargé du cinéma en Iran que je ne voulais pas voir un seul soldat sur les lieux de tournage. Heureusement, il ne restait que quelques scènes à tourner, dans un minibus. Nous avons quitté la zone sous contrôle militaire et terminé le film à six kilomètres de Téhéran."
Comme dans Le Cercle, il est encore question de la condition de la femme en Iran : ""Ce que je veux, c'est susciter une prise de conscience. Faire comprendre au monde occidental qu'en Iran, nombreux sont ceux qui ne jouissent pas des libertés fondamentales, et qu'on ne peut toujours pas mener une vie normale", expliquait Jafar Panahi lors de la conférence de presse à Berlin."Il a toutefois précisé : "Je voulais que le spectateur quitte avec la salle avec le sourire"
Une large partie de Hors jeu est consacrée au face-à-face entre les jeunes filles et les sodats qui leur interdisent de pénétrer dans le stade. Mais cette confrontation vire en fait presque à la conversation entre jeunes du même âge. Le cinéaste explique : "“En Iran, le service militaire est obligatoire, les soldats ne sont pas des fonctionnaires mais des appelés. Ces hommes sont issus de familles ordinaires, ils sont comme tout le monde... Ils peuvent donc facilement comprendre les désirs et les envies de leur génération. Ces soldats sont là pour imposer des interdictions, et ils ne se sentent pas toujours très à l'aise avec ce qu'ils font. De l'autre côté, vous avez les plus âgés, avec des points de vue beaucoup plus traditionnels. Les traditionalistes représentent 10% de la population mais ils ont le pouvoir. Evidemment, il y a un choc entre ces deux générations." Les différents personnages sont également liés par leur passion du football : "Au début tous ces gens sont des étrangers les uns pour les autres. Et plus la victoire approche, plus il sont soudés, formant presque une famille. Il n'y a que le football qui rend cela possible", expliquait le cinéaste lors de la conférence de presse au Festival de Berlin.
Au terme de la rencontre, c'est l'Iran qui l'a emporté un but à 0 face au Bahrein. A la suite des matchs de qualification, l'Iran a pu participer à la Coupe du Monde 2006. Le pays, qui faisait partie du groupe D, avec le Mexique, l'Angola et le Portugal, n'est pas allé au-delà du 1er tour.