Pour son dernier film, Claude Sautet nous livre peut-être une part de lui-même. On peut se demander, en effet, si le choix de Michel Serrault dans le rôle titre n' a pas été dicté par la ressemblance physique entre le réalisateur et l'acteur. Si c'est bien le cas, le personnage de Pierre Arnaud est en partie autobiographique et permet subtilement au réalisateur de nous parler du bilan qu'il tire de sa propre vie et de sa propre carrière. Une sorte de film testament en somme. L'autobiographie écrite par Pierre Arnaud symbolise le film lui-même, les confidences qu'il fait à Nelly (Emmanuelle Béart) seraient des confidences faites directement au public au sujet de l'homme qu'il fût et de l'homme qu'il est devenu.
La relation ambigüe entre les deux personnages basé sur le non-dit est mâtinée d'une profonde affection et d'un respect tout en pudeur. On ne sait pas vraiment si c'est une amitié profonde rejouant une forme de relation père-fille ou un véritable amour que chacun des deux personnages s'interdisent de vivre et d'exprimer, notamment à cause de leur différence d'âge. Le fait est que Sautet, s'il parle de lui dans ce film, livre une œuvre à plusieurs niveaux de lecture. Car cette belle relation tout en pudeur et en non-dit, c'est la relation que le réalisateur a entretenu avec son public pendant 40 ans de carrière. C'est aussi la relation qu'il a entretenu avec ses actrices tant Romy Schneider qu'Emmanuelle Béart (sa dernière muse - il n'est pas a douté que s'il était mort plus tard, il l'aurait fait tourner dans ses autres films), magnifiés et sublimés par son oeil d'anthropologue de l'âme humaine.
Difficile de ne pas voir dans certains dialogues, tous merveilleusement ciselés, des allusions aux rapports qu'il a entretenu avec elles et avec ses proches. Difficile de ne pas voir le constat un peu dur qu'il fait de sa propre vie professionnelle découpée en deux parties distinctes, où l'idéaliste se transforment en pragmatique "carnassier" pour faire de l'argent. Pourtant, Delabella (Michael Lonsdale) dit de lui, à Nelly, que c'est un vrai humaniste, bien qu'il ait ses zones d'ombres. Constat unanime que font le public, la critique et les gens du cinéma au sujet de Claude Sautet sur son humanisme profond. Quant aux zones d'ombres, le secret que livre Pierre Arnaud à Nelly sur lui et son passé avec Delabella en dit peut-être beaucoup sur certains aspects de la vie du réalisateur Claude Sautet.
C'est aussi, comme dans "Un cœur en hiver", un film qui nous parle de la solitude, sous un autre angle, celle de la fin de vie, où en faisant un bilan sur soi et ce qu'on l'on a accomplie, surtout si comme Pierre Arnaud l'on est dur et exigeant avec soi-même, on devient un peu misanthrope malgré le désir que l'on a d'être encore dans la vie et de partager ses expériences. Est-ce encore le sentiment du réalisateur sur sa propre solitude ?
Bien sûr, le film est volontairement plus contemplatif que ces précédents films et repose essentiellement sur les échanges et le jeu de Serrault et Béart, à tel point que ce qui tourne autour d'eux, bien que cela soit nécessaire pour comprendre leurs personnages, nous paraît quasiment accessoire au regard de la force de la relation qui s'établit entre eux. Serrault est formidable et Emmanuelle Béart nous livre sa plus belle prestation. Comme d'habitude chez Sautet, tous les rôles, mêmes les plus petits sont intelligemment distribués et incarnés: Jean-Hugues Anglade, Claire Nadeau, Michael Lonsdale, Charles Berling, Jean-Pierre Lorit, Michèle Laroque et Françoise Brion sont parfaits.