Film hallucinant, inimaginable, «Vampyr» (1932) de Dreyer a cette faculté unique de remuer le spectateur au plus profond de son subconscient! Il n'est pas davantage que le «Nosferatu» de Murnau un banal «film de genre», mais une méditation métaphysique en images sur le surnaturel, sur le bien et le mal, sur l'angoisse et sur la mort. Et cette méditation ne se laisse pas résoudre sous la forme d'une analyse thématique simpliste tant le pouvoir suggestif des images est ici tout simplement extraordinaire. Bien au-delà des très nombreux symboles qu'elles mettent en oeuvre (le faucheur, le passeur, la roue ...), elles viennent semer le trouble en éveillant au coeur de l'affectivité des émotions secrètes, des angoisses refoulées et ne laissent pas, pour tout dire, le spectateur indemne (du moins celui dont la sensibilité ne s'est pas définitivement émoussée!) La réalisation qui préside à ce résultat fabuleux relève du génie. La composition des plans, les éclairages, le montage, tout est parfait! Le film, qui se vit comme un cauchemar éveillé, a bénéficié pour cela d'un accident dont Dreyer a décidé de tirer le meilleur parti. Du retour du laboratoire, le réalisateur eut la surprise de constater que les images de son film étaient surexposées et voilées et il s'en trouva finalement satisfait tant le résultat suscitait un sentiment de rêve et d'irréalité. De son côté, la bande-son, à la fois sobre et géniale, a profité paradoxalement de son caractère archaïque qui, ici aussi, renforce opportunément l'étrangeté de l'ambiance générale. Bien des films s'inspireront de «Vampyr» mais aucun ne retrouvera cette stupéfiante capacité qu'il a d'atteindre à l'universel en suggérant l'angoisse archétypique et primordiale face à la mort. Un monument! C'est du Dreyer!