Vampyr, de Dreyer, reste probablement à ce jour l’un des films les plus étranges que j’ai pu voir. Librement adapté d’une nouvelle de Sheridan Le Fanu, le film se démarque clairement de tous les autres grands classiques du cinéma fantastique (on peut notamment citer le Nosferatu de Murnau ou le Dracula de Browning) par son approche impressionniste et poétique de l’épouvante. Aujourd’hui encore, Vampyr reste une œuvre complètement à part, qui n’a rien perdu de son pouvoir de fascination, et on peut regretter qu’il n’est pas été davantage source d’inspiration. Bien qu’il utilise les codes et références du film de vampires (pieux, cercueils, crânes, petit village, livre ancien, etc…), Dreyer se les réapproprie complètement, et les revêt d’une aura irréelle qui leur confère une puissance onirique extraordinaire. Le film se vit ainsi entièrement comme un rêve, ou plutôt un cauchemar, dans lequel erre un personnage fantomatique qui nous apparaît lui-même comme complètement irréel. En 1932, Dreyer déploie une mise en scène d’une stupéfiante modernité avec des cadrages d’une richesse incroyable (quel fabuleux plan que celui de l'enterrement de Gray!), une caméra toujours en mouvement, qui ne s’attarde jamais et impose au film son rythme hypnotique. Comme à son habitude, Dreyer a limité les dialogues au maximum ce qui confère à chaque parole une sonorité particulière, quasi plaintive. On a presque l’impression que le voilement de l’image (initialement accidentel mais qui au final colle parfaitement à l’œuvre) agit également sur le son, ce qui renforce davantage l’impression d’être dans un rêve, ou dans un monde parallèle. Le symbolisme des images et ce que j’appellerai cette «poétique de l’étrange» transforme le film en une sorte de mise en image de l’inconscient extrêmement riche, lui conférant un pouvoir méditatif inattendu. A y regarder de plus près, Vampyr devient alors une vaste métaphore de la vie, de la mort, de l’amour, éminemment poétique. Un chef d’œuvre intemporel