Sur la genèse de son film, Xavier Beauvois explique: "C'était d'abord l'envie de me frotter à l'idée dufilm de genre, comme le polar. (...) Audébut, je me suis intéressé aux voyous. J'en aivu quelques-uns, mais je les ai trouvés tropparanos. La prison, ça les rend compliquéscomme garçons. Ensuite, des flics m'ontconfirmé que les beaux voyous n'existent plusvraiment. Il ne reste que quelquesbraqueurs de fourgons et des proxénètesrusses. La grande délinquance est en col blanc.(...) Donc je suis allé voir les flics et j'aipassé beaucoup de temps avec eux auquotidien. Je n'avais pas prévu que ce seraitaussi intéressant comme métier : ça meconvient très bien, ça m'a beaucoup excité.Mais je n'y connaissais rien, c'était unedécouverte totale. Au début, les flics ne m'ontpas montré grand-chose puis, plus ça allait,plus on est devenu potes, plus je suis allé loin."
Xavier Beauvois : "J'ai laissé faire Jalil Lespert parce que j'ai l'impression qu'il estentré dans le film en 15 secondes. Quand on atourné les scènes à l'École de Police, il estarrivé, a mis son uniforme immédiatement, ademandé comment ça se passait à un vrai flic.Quelques minutes après il a fait "ok j'aicompris", puis est devenu le petit lieutenant endirect devant la caméra - parce que je tournaisdéjà à ce moment-là. Je n'ai pas l'impression del'avoir beaucoup dirigé, il a fouiné un peu et atout pigé seul."
Xavier Beauvois : "C'est assez rare, un film sans musique,d'habitude tu es obligé. Avant le tournage, onme demandait "tu vas mettre quoi commemusique ?", je répondais "je n'en sais rien, ilfaut écouter le film, il a une âme, il fautécouter les acteurs, les techniciens. Maissurtout ce que dit le film". Puis j'ai voulu fairele pari de m'en passer... Quand je suis flippé,que je marche dans la rue, je n'ai pas unquatuor à cordes qui me colle aux basques.Pourquoi, quand les gens sont flippés dans unfilm, ont-ils un orchestre qui les suit ?"
Xavier Beauvois: "La simplicité,dans ce métier, c'est d'abord d'aller demanderaux gens dont c'est le boulot comment ils font.Mais souvent, je prends les vrais. Par exemple,le traducteur dans le film est un vraitraducteur russe de la police judiciaire.Pourquoi s'emmerder à trouver un acteur quicomprend le russe ?... Là, il suffit de le mettreen confiance, et hop. (...) Avec lescomédiens, on n'a pas d'atomes crochus. Moi, jeveux que les mecs soient les personnages, je neveux pas qu'ils apprennent leur texte avantmais le matin même, au maquillage. (...) Quand tu mets un vrai SDFpolonais face à Nathalie Baye, ça marche merveilleusement bien (...), aucun comédien de théâtre maquillé pour jouer un SDF ne peutfaire comme s'il avait passé 25 ans dans la rue àfaire la manche et à picoler. Impossible d'avoirces dents, ce regard, c'est trop dur. Une vie desouffrance, ça ne peut pas s'imiter."
Xavier Beauvois avait déjà dirigé Nathalie Baye dans Selon Matthieu et la retrouve avec bonheur. Question d'osmose : "Ce que j'aime beaucoup chez elle, et c'est pourça que ça colle bien avec moi, c'est qu'elle esttrès forte, puissante, intelligente, énergique,mais qu'elle a l'air tellement fragile. Son côtépetite danseuse me touche beaucoup. Moiaussi j'ai des côtés très forts et d'autres assezfragiles. J'avais besoin pour ce personnage dequelqu'un qui me donne entière confiance, àqui je ne sois pas obligé d'expliquer tout ce queje veux, tout ce que je suis en train de faire. (...) Ça se fait dans une intelligencequi ne passe pas par des discussionsintellectuelles. Ce sont plutôt des atomescrochus, des cerveaux qui fonctionnent sur lamême longueur d'onde. C'est exactement ce quis'est passé sur ce film avec tous les acteurs,avec Roschdy Zem, Jalil Lespert, Jacques Perrin,avec Antoine Chappey : il n'y avait quasimentpas de discussions sur la direction d'acteurs,j'avais l'impression qu'ils avaient tout compris."
Xavier Beauvois : "La majorité des gens des séries télé n'ont jamais foutu les pieds dans un vrai commissariat, donc s'imaginent des trucs : c'est du grand n'importe quoi. L'autre jour, je voyais une série : les flics sortaient du commissariat avec leur brassard "police" comme des zombies ; mais le brassard police, c'est quand tu arrêtes quelqu'un, tu lemets pour qu'on ne te confonde pas avec unvoyou. (...) Les genss'inspirent des films qu'ils ont vus, qui eux mêmesse sont inspirés de bouquins, desbouquins qui se sont inspirés de films - etcomme tout le monde s'inspire de tout lemonde mais que personne ne retourne à lasource, on en arrive à des trucs abracadabrants."
Dans la scène du train, la femme qui se trouve face à Nathalie Baye n'est autre que Caroline Champetier, l'une des chef-opératrices les plus demandées du cinéma français. Godard, Rivette, Doillon, Techiné, Garrel et Jacquot ont tous fait appel à elle. Elle collabora avec Xavier Beauvois sur N'oublie pas que tu vas mourir et Selon Matthieu.