Andy et Larry Wachowski avaient jusque là suspendu le gros de l’œuvre, non pas tant avec «The Matrix Revolutions», qu’avec son prolongement vidéo-ludique : «The Matrix Online». MMORPG pour PC, le film rallongé la mythologie de Matrix sur le terrain profus du jeu vidéo en réseau. «Speed Racer» (USA, 2008) rejoue sur le même terrain, au cinéma. Entre les deux, il y a eu l’aparté «V for Vendetta», accomplissement d’un désir de film davantage qu’une complétion des Wachowski. De la poétique du jeu vidéo, «Speed Racer» en reproduit l’abondance des possibles -le film, ne dessinant qu’une ligne narrative labile, pourrait recommencer à chaque scène, embrayant à chaque fois une nouvelle option dans le récit- et le mêle à ce que le cinéma, dit, du «numérique» a de plus archaïque et de plus esthétique à offrir : ces formes mobiles et sibyllines que les frères Whitney manipulèrent avec la plus grande beauté. Fondée sur un scénario d’assez médiocre teneur, l’intrigue ne déplie pas tant le récit d’une famille irréductible que les jonctions à plusieurs niveaux du manga, du japanime et du jeu vidéo. Le montage, dans lequel les visages des personnages viennent parfois accompagner un volet naturel, se trouve, de manière singulièrement vertigineuse, tant entre les plans qu’à l’intérieur même de ceux-ci. «Speed Racer», fusée automobile lancée au quatre coins du film, explose même la notion fondatrice de plan. Les outils du cinéma numérique permettent aux Wachowski de pénétrer le processus de l’association visuelle. En grand eisensteinien du numérique, ils soumettent, dans la course finale, leur protagoniste et leurs spectateurs à l’expérience audio-visuelle de l’extase. Et si les critiques, à sa sortie en salle, l’ont accusé de kitsch et l’ont considéré comme l’incarnation d’un cinéma-pub, c’est qu’ils n’ont pas saisi la restriction du scénario au profit d’une expérimentation post-moderniste en profondeur des facultés d’un nouveau cinéma qui s’invente dans le mouvement tonal des images.