En adaptant au cinéma « Key Largo », une pièce de Maxwell Anderson que Huston appréciait guère, le réalisateur et son co scénariste Richard Brooks (futur grand cinéaste) augmentèrent l’angoisse d’un huis clos avec une intrusion des éléments déchainés au sein même du bar où se trouvent réunis de force tous les protagonistes. Globalement la scène de l’ouragan filmée par le grand Karl Freund a peu à envier à celle de Bert Glennon et Archie Stout pour « The Hurricane » que John Ford réalisa en 1937. La différence vient de la tension, moins moite mais plus dense chez Ford que chez Huston, malgré un rôle de bad guy complètement réécrit par Brooks, synthèse d’Al Capone (qui venait de mourir en Floride) pour le cynisme, le sadisme et la lâcheté et de Lucky Luciano pour la facilité à flinguer les gens, offrant une interprétation impressionnante d’Edward G. Robinson, grand orfèvre en la matière. A la décharge de Huston, Key Largo est son onzième film (seulement le cinquième long métrage de fiction), alors que Ford en était à son vingt quatrième parlant, après soixante trois muets. Toujours pour se démarquer de la pièce, la fin est empruntée à « Tout Have and Have Not » (Le port de l’angoisse) nouvelle d’Ernest Hemingway, qu’Howard Hawks (dont Huston était proche) réalisa en 1944. Il en emprunte également les deux acteurs du couple central : Humprey Bogart et Lauren Bacall. Mais toute comparaison s’arrête là, car si Hawks construit son cinéma par un équilibre linéaire qui se retrouve de scène en scène, Huston semble plus foisonnant, même à l’intérieur du huis clos. Pour ce faire il s’appuie sur une galerie d’acteurs remarquables. Car à côté de l’abominable Robinson, un Bogart déterminé mais au discours ambigu et la sauvage Bacall qui regarde langoureusement son homme, font merveille, mais surtout Claire Trevor inoubliable dans le rôle (inspiré de la maîtresse de Lucky Luciano), d’une chanteuse déchue et alcoolique, prête à tout pour un verre de plus (oscar du meilleur deuxième rôle féminin), sans oublier Lionel Barrymore cloué dans un fauteuil à roulette. Ils sont accompagnés par Thomas Gomez, William Haade, Harry Lewis et Dan Seymour, quatre truands dont trois sont particulièrement bas de plafond, surtout celui qui se croit drôle. Par contre le film souffre par moments d’un abus de dialogue et d’une certaine théâtralité, entrainant une baisse de rythme et de tension, malgré la justesse de la musique de Max Steiner. C’est d’autant plus regrettable, que “Key Largo” était près d’un chef d’oeuvre.