Présenté en compétition au Festival de Cannes 2004, Tropical malady y a décroché le Prix du jury, partagé avec Irma P. Hall, l'actrice de Ladykillers de Joel et Ethan Coen. Ce film thaïlandais avait profondément divisé les festivaliers : quelques sifflets ont été entendus à la fin de la projection, mais cette oeuvre radicale comptait également d'ardents défenseurs sur la Croisette. Il semble que cette division ait existé également au sein du jury, présidé par Quentin Tarantino.
Tropical malady est le troisième long-métrage de Apichatpong Weerasethakul. Né en 1970 dans le Nord-Ouest de la Thaïlande, il suit des études d'architecture, puis tourne plusieurs courts-métrages. Son premier long, Mysterious Object at Noon (2000), est un film expérimental. Le réalisateur revendique d'ailleurs l'influence d'artistes tels que Andy Warhol, Marcel Duchamp ou encore Bruce Baillie. C'est avec son long-métrage suivant, le contemplatif Blissfully yours, présenté en Sélection officielle à Cannes, dans la section Un Certain Regard, que le cinéaste est révélé sur la scène internationale.
La particularité de ce film est de changer totalement de registre à sa moitié. Chronique réaliste dans sa première heure, il deveient ensuite une fable onirique. Bien des spectateurs, lors de la présentation du film à Cannes, avaient même pensé qu'une erreur de bobine était à l'origine de cette rupture déroutante... Apichatpong Weerasethakul s'explique : "Même si le film a une structure linéaire, il est fait de deux histoires qui ont lieu dans deux mondes différents. Ces territoires sont reliés par des personnages que le spectateur peut considérer comme étant les mêmes, ou non. L'important, ce sont les souvenirs. Les souvenirs de la première partie fécondent la seconde, tout comme la seconde partir féconde la première. L'une n'existe pas complètement sans l'autre."
Tropical malady a été entièrement tourné dans la jungle du Nord-Est de la Thaïlande. Le preneur de son a d'ailleurs pu y capter des sons spécifiques à la forêt pour retranscrire à l'écran leur spécificité. "La jungle est un personnage à part entière", explique Apichatpong Weerasethakul. "Je voulais reparcourir le même endroit tout en le regardant différemment. Lorsque je suis dans la jungle, je vois un vaste espace de vie, une vie très différente des lois qui lui sont propres. Je ne crois pas que je pourrai un jour véritablement comprendre le monde animal. Cependant, j'emprunte ces paysaes pour y installer la "maladie" du film. Un monde étouffant qui n'est pas humain".
Le cinéaste revient sur l'atmosphère onirique dans laquelle baigne Tropical malady : "Je suis fasciné par le mystère, cela vient de mon enfant. J'ai grandi dans un hôpital, mes parents sont médecins. Ces lieux étranges où l'on conserve des membres dans des bocaux étaient un terrain de jeux pour les enfants. Les nuits étaient calmes et on nous racontait toujours des histoires de fantômes. Je suis fasciné par la simplicité quasi conceptuelle des contes et des légendes. J'ai donc construit le film comme un conte : des rencontres et un minimum de moments dramatiques."
Film très singulier, Tropical malady a pu se monter grâce à Anna Sanders films, société de production associant cinéma et art contemporain. Créée par le cinéaste Charles de Meaux -auteur de l'intrigant Shimkent hotel, sorti en 2003- et les artistes Philippe Parreno et Pierre Huyghe, Anna Sanders Films avait déjà financé Blissfully yours.
Le réalisateur donne des précisions sur cette "maladie tropicale" qui donne au film son titre : "Je crois que nous en sommes tous atteints. Nous nous attachons à certaines choses, en particulier à la beauté de notre propre espèce. C'était déjà un thème de Blissfully yours, mais cette fois j'ai voulu montrer son aspect maladif. A un moment de notre vie, nous sommes quasiment "étouffés" par les merveilleux souvenirs de ceux que nous aimons. Les amants de Tropical malady succombent de leur amour".