Le réalisateur Malek Bensmail a dédié son documentaire à son père, Belkacem Bensmaïl, décédé en 2002, professeur de psychiatrie et l'un des fondateurs de la psychiatrie en Algérie.
Malek Bensmail, né en 1966 à Constantine, obtient le Premier Prix National du Film Amateur puis produit et réalise, à partir de 1990, des magazines TV et des documentaires. Il développe plus particulièrement des projets sur la relation Orient-Occident et les rapports Nord-Sud, et milite à sa manière pour plus de compréhension entre l'Europe et le Maghreb.
En s'attachant à suivre, au quotidien, médecins et malades à l'hôpital psychiatrique de Constantine, le film est une tentative de comprendre les souffrances que peuvent vivre, aujourd'hui, les Algériens confrontés à une crise aux aspects multiples : religieux, politiques, économiques, familiaux. Le réalisateur explique : " Chaque jour, à travers leur pratique professionnelle, les psychiatres sont confrontés plus encore que d'autres au malaise de la société. Ils sont parmi les premiers à en observer les symptômes, à tenter de guérir les malades, à comprendre les raisons de ces "failles". Pourtant, ils restent aussi désarmés que d'autres pour guérir cette société... À travers ce film, il ne s'agit pas de traiter des événements de l'actualité la plus récente en Algérie, mais plutôt de percevoir les courants souterrains qui traversent cette société et alimentent sa crise..."
La psychiatrie algérienne est née avec les efforts de Frantz Fanon et le retour au pays des docteurs Benmiloud, Bensmaïl et Neggadi.... Cependant, l'histoire récente du pays et les choix politiques en matière de santé ont achevé de vider les services de psychiatrie dans les CHU et provoqué la fuite des spécialistes vers le secteur privé.
Dans la société algérienne, et plus largement au Maghreb, les Djinns (qui signifient esprits / fantômes ) sont très présents. Même les psychiatres reconnaissent leur importance et ne semblent pas les réfuter. Constantine, ville dans laquelle est tourné le film, fait partie d'une région où la religion a toujours été très présente et où les gens ont toutes sortes de croyances. Le réflexe premier des habitants en cas de problème grave est d'aller voir l'Imam ou le Marabout, bien avant d'aller consulter un psychiatre. L'état de possession par un Djinn est une maladie, une aliénation, qui a besoin d'un traitement. D'un point de vue pragmatique, la consultation des Imams constitue une sorte de filtre qui permet d'éliminer les "fausses aliénations" sans passer par l'hôpital...
La pratique des psychiatres algériens les a amenés à identifier des espaces conceptuels récurrents au sein desquels se développent la souffrance et la maladie mentale. Citons entre autres :
- les séquelles de la guerre de libération
- le rapport à la langue, à l'identité (français, arabe classique, dialecte algérien et berbère)
- la relation à la tradition, à la religion
- les bouleversements socio-culturels
- le rapport à la femme, à la mère, le tabou sexuel
- la puberté et l'adolescence, le mariage
Le documentaire de Malek Bensmail a reçu le Grand prix du Long-métrage Documentaire à l'occasion de la 7ème Biennale de l'Institut du Monde Arabe, la Clef d'Argent lors Festival du Film de psychiatrie de Lorquin ainsi que le Prix "Enjeux méditerranéens" au Festival du Film documentaire de Syracuse et le Prix des Bibliothèques à la manifestation Cinéma du réel. Le film a également été présenté au cours des 10èmes Rencontres Internationales de Cinéma de Paris et au Festival des Films du Monde à Montréal.