L'itinéraire criminel singulier de Jean-Baptiste Grenouille, depuis sa naissance dans des conditions sordides sous un étal du marché aux poissons à Paris au XVIIIe siècle jusqu'à sa mort quelque 20 années plus tard, au même endroit, dans des conditions tout aussi sordides. Et la boucle d'un destin tragique est bouclée. Entre les deux, 2 H 30 d'un spectacle dense, visuellement abouti, avec une très belle reconstitution d'époque, soignée tant au niveau des décors et des costumes que des couleurs. On ressent l'agitation trépidante de la capitale, la foule bruyante aux allures de ruche, la misère des bas-fonds, le petit peuple asservi et laborieux, la bourgeoisie dans sa bulle de superficialité, pourdrée, emperruquée, uniquement préoccupée de toilettes et d'artifices. En adaptant le roman de son compatriote Patrick Suskind, Tom Tykwer s'attaquait à une oeuvre sensorielle forcément difficile à retranscrire en images. Le résultat est convaincant. Mais quand même, en pensant à l'Odorama, on se dit qu'avec une matière aussi fantastique, avec un tel potentiel, il est dommage que la technique n'en soit restée qu'au stade des balbutiements quand l'image faisait à marche forcée sa révolution 3D, donnant au spectateur l'impression de plonger dans le décor (enfin, quand c'est réussi...). On imagine l'extase olfactive que représenterait la possibilité de pouvoir s'enivrer en même temps que le héros de toutes ces odeurs qui saturent son univers : bois, herbe, pierre, eau et tout ce qu'il capte, adolescent, allongé dans la nature ; prunes juteuses et dorées coupées par sa première victime, effluves d' "Amour et Psyché" lorsque Baldini agite son mouchoir, les champs de lavande à Grasse... L'impact physique serait extraordinaire... Reste que l'adaptation de ce roman réputé inadaptable est plutôt une bonne surprise. Le réalisateur allemand s'en tire avec brio. Quant à l'interprétation de Ben Whishaw dans le rôle difficile de Grenouille, elle est absolument irréprochable. L'acteur britannique impressionne par la façon dont il entre dans la peau de ce personnage fruste, mi-ange mi démon, incapable de faire la différence entre le bien et le mal et dont les carences affectives de l'enfance plaident certainement pour une part d'irresponsabilité face à l'horreur de ses crimes. Devenu adulte, le but ultime de son existence consistera à capturer l'odeur de jeunes filles rousses pour en faire un parfum unique. Une quête fiévreuse, obsédante, dévorante, à laquelle il va consacrer toute son énergie. Il rôde et traque ses victimes et met au point, à force de persévérance, la technique subliminale. Graisse de porc, racloir, chevelure, distillation des corps dans un alambic géant. Le miracle se produit : quelques gouttes d'un substantifique liquide s'écoulent, recueillies avec ferveur dans une fiole. Les corps s'ajoutent aux corps et à chaque morte supplémentaire le niveau monte d'un degré dans la fiole... Dustin Hoffman incarne le vieux parfumeur Giuseppe Baldini. Comme toujours, il est très juste. On retrouve également Alan Rickman, dans un rôle pour une fois sympathique. Père aimant et protecteur de Laura, sa fille représente pour Grenouille le joyau absolu dans sa collection de jeunes et jolies rousses. Il l'a compris et tentera tout pour la sauver. Ca a été dit et répété, le film est scrupuleusement fidèle au livre, jusque dans sa conclusion. Pour ma part je n'ai pas lu le roman et j'ignore si la fin passe bien à la lecture. Ce qui est certain, c'est qu'elle se révèle particulièrement indigeste au cinéma, au point de tout gâcher. De façon totalement inattendue (enfin, pour qui n'a pas lu "Le Parfum") ça tourne à l'orgie granguignoslesque, complètement ridicule, pour s'achever sur un épilogue déconcertant, en forme de parabole...