Il faut deux livres pour apprendre à bien parler : le premier c’est la Rhétorique d’Aristote et le second, Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand.
Cyrano fait partie de ces personnages qui domine la littérature de part leur stature ; il côtoie à ce titre un Hamlet, un Achab ou encore un Julien Sorel.
Cyrano fait partie de ces hommes, pour paraphraser Marc-Antoine dans le Jules César de Shakespeare, devant la tombe de laquelle la nature elle-même se dresse pour crier : il fut un homme !
Enfin, Cyrano fait partie de ces œuvres qui éclipsent leurs auteurs, au même titre que le Frankenstein de Mary Shelley ou le Moby-Dick de Melville.
Le mot « théâtre » vient du grec qui veut dire voir. Et s’il y a bien une pièce qu’il faut voir plutôt que de lire, c’est bien celle-ci. Cyrano n’est pas un personnage en papier. Il est fait de chair et de sang. Il est animé par la passion. Il est jaloux, colérique, tendre et fataliste.
Il laisse à ce médiocre Jean Baptiste Poquelin la paternité de certains de ses dialogues. Laisse à Christian le soin d’être aimé de Roxane. Il laisse cette vie de médiocrité pour monter vers la lune opaline, y retrouver Socrate et Galilée.
Tout est magnifique dans la pièce, et c’est assez rare pour le souligner. Pas une ligne est à retrancher, du début, quand il prend à partie Montfleury, jusqu’à la fin, quand il remercie Roxane d’avoir été cette robe qui a passé dans sa vie. Et tout mon sang se coagule en songeant qu’on puisse y changer une virgule.
Cyrano est une fine lame et qui toujours à la fin de l’envoi, touche ! Mais en fait, c’est un poète, un romantique, égaré au pays des mousquetaires, tout comme Averroès était un grec égaré en pays musulman. Il ne recherche pas de protecteurs, comme tous ces laquais, de Virgile à Voltaire. Lui, concède à ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !
Pièce en cinq actes écrit en 1897 par Rostand, qui abandonna le droit pour le théâtre, l’auteur, natif de Marseille, se démarque de la tradition réaliste de l’époque pour accoucher d’une radicale romance historique se déroulant au milieu du 17ème siècle. Le véritable Cyrano a réellement existé, il était un écrivain français, libre-penseur comme on disait à l’époque, c’est-à-dire porté vers l’athéisme et a écrit entre autres une Histoire comique des États et Empires de la Lune à laquelle Rostand rend hommage quand il fait ‘tomber’ Cyrano de la lune pour intercepter le comte de Guiche.
Cyrano n’est pas une histoire d’amour. Ce n’est pas ‘amour’ que d’aimer en secret ; et il est assez paradoxal, que cet homme, qui fait tout en public, qui n’existe que pour que les autres l’admirent, aime en secret, aime par le biais d’un autre. À croire qu’il avait plus honte de ses sentiments que de son nez… Cyrano n’aime pas Roxane. Cyrano n’aime pas la gloire. Il n’aime même pas son verbe ni même sa lame… Cyrano n’aime tout simplement pas ce monde. Il en aime juste ses images, mais il aspire à autre chose, à plus loin… à la lune.
C’est lui qui est ‘responsable’ de l’introduction du mot « panache » dans la langue anglaise. Et c’est justement ce qu’il emporte dans l’autre monde, « sans un pli et sans une tache’… son panache !
Quand c’est aussi beau, ça en devient grand.