Mahmut, artiste contrarié reconverti en photographe publicitaire, mène une vie solitaire de bourgeois bohème dans un appartement confortable d’Istanbul. À contre-cœur, il accepte d’accueillir pendant quelques jours son cousin Yusuf, venu de la campagne à la recherche d’un travail manuel dans la capitale. Sur ce scénario d’apparence assez simple, Nuri Bilge Ceylan signe un film absolument sublime, passionnant et envoûtant de la première à la dernière minute. Sur la forme d’abord, le cinéaste turc nous offre une mise en scène éblouissante, constituée de plans magnifiques et baignée d’une photo superbe. Sur le fond ensuite, Ceylan invente un style à lui, que d’aucuns qualifient de burlesque contemplatif. Sans jamais se départir d’un humour grinçant, il raconte à travers ces deux personnages deux mondes qui ne se comprennent plus : la petite bourgeoisie des villes, intellectuelle et libérale, et un milieu populaire et rural, moins éduqué, se faisant le témoin malicieux des comportements humains pas forcément glorieux qui découlent de leur cohabitation forcée. Ainsi, le personnage de Mahmut, que l’on imagine aisément comme un alter ego du réalisateur, ne supporte pas la présence de son cousin, multipliant les signes d’impatience et le manque de considération à l’égard de celui qui ne sait pas se faire discret. Nuri Bilge Ceylan excelle à nous faire ressentir la culpabilité du photographe, déconnecté d’un milieu d’origine qu’il ne parvient plus qu’à considérer avec condescendance. En multipliant les détails incroyables de justesse, Uzak prend la forme d’un récit qui mêle puissamment les enjeux intimes et collectifs de la Turquie contemporaine. Un très grand film.