Pour commencer, amateur de blockbuster pétaradant et de pixarisation colorée, tu peux passer ton chemin. Ici, on est plutôt entre fans de Tarkovsky et du Kiarostami des débuts. C'est Ozu qu'on convoquera, et pas Refn.
A force de voir d'autres styles de film, on oublie presque qu'il existe un cinéma dans lequel un plan fixe et silencieux de 5 minutes peut être génial, car signifiant.
Je donne un exemple. Le synopsis est assez simple : un photographe en proie à une crise existentielle (sa femme l'a quitté, il s'interroge sur son métier...) doit accueillir chez lui une vague connaissance issue du même village que lui, mais d'un niveau social bien inférieur. Une longue scène nous les montre tous les deux regarder la télévision. Puis le visiteur de lève et va se coucher. Après un moment, le photographe se lève et sort une cassette porno pour la regarder tranquillement. C'est long, il ne se passe pas grand-chose, mais c'est beau et ça dit plein de choses en même temps : la misère sexuelle du photographe, la gêne d'accueillir le visiteur, le stress d'être surpris, etc...
Nuri Bilge Ceylan s'avère être par ailleurs un réalisateur exceptionnel par ses choix de cadres, absolument géniaux, sa direction d'acteur et sa photographie, d'une beauté époustouflante, qui révèle son métier premier de photographe. Ses talents de coloristes sont aussi immenses (ces rouges !). Le film, que j'ai regardé en deux fois parce qu'il doit s'apprécier avec parcimonie et délicatesse comme un grand cru, est donc une merveille esthétique, qui regorge d'idée de mise en scène (utilisation de la profondeur de champ comme je ne l'ai jamais vu ailleurs). Les relations entre les deux acteurs sont particulièrement subtiles. Il est émouvant de savoir que le plus jeune des deux, parent éloigné de Ceylan, est mort quelques semaines après la fin du film dans un accident de voiture.
Une scène, dans ce beau film, est une splendeur : Istambul enneigée, un bateau de travers qui semble à la fois immobile et en train de sombrer dans la mer toute blanche. D'autres critique sur Christoblog :