La première fois que j’ai vu « L’Aventure de Mme Muir » c’était dans l’émission mythique « Le cinéma de minuit » sur FR3, début des années 80, il me semble.
Ce pouvait être aussi sur « Ciné-club » sur Antenne 2.
Ces deux émissions avaient la très mauvaise habitude d’être perpétuellement en retard.
Non seulement il fallait être motivé pour veiller tard, mais surtout pour voir un vieux film, en V.O, les sous-titres blancs se confondaient aux séquences blanches.
Après avoir trépigné d’impatience à attendre l’émission, je trépignais de frustration pour ne pas avoir tout lu.
Autour de moi, j’entendais que les films en V.O décourageaient.
Je sortais à peine de l’adolescence, et ne me suis jamais découragé.
Depuis, grâce à ces deux émissions, je ne regarde que les films en V.O et les sous-titres ont fait des progrès.
Bref, après cette (inutile ?) introduction qui peut faire écho à ceux qui ont vécu ces moments tard le soir, « L’Aventure de Mme Muir » m’avait marqué et bouleversé par sa scène finale.
Dès que le film fut édité en VHS et en V.O, je m’en suis emparé. Puis en DVD.
Dernièrement, j’apprends que le film ressort en salle à Paris, alors pour me calquer avec l’évènement, je ressors le DVD avec un grand plaisir et une grande émotion.
Si je ne suis plus autant bouleversé par la scène finale, je l’attends toujours avec impatience tout en la redoutant encore un peu.
Il faut dire que l’inéluctable me bouleverse…
Le film Joseph Mankiewicz est un petit bijou.
Au fur et à mesure que je le voyais, je m’apercevais que je ne captais pas toutes les nuances, m’arrêtant simplement au sujet que j’estimais central : le fantôme et la mort.
Puis, je m’aperçus de sa dimension féministe.
Comme une révélation.
Et l’est d’autant plus avec le temps.
Plus « L’Aventure de Mme Muir » traverse le temps, plus sa résonance est d’actualité.
Ce qui pouvait paraître progressiste voire utopique, ou être une romance gentillette, « L’Aventure de Mme Muir » apparaît comme un récit moderne pour son temps.
Mme Lucy Muir, personnage fictif, répond à d’autres femmes réelles qui se sont battues pour affirmer leur identité.
En France, contemporaine de Mme Muir, Colette dut, dans un premier temps, pour être éditée, partager son nom avec son mentor Willy.
Alice Guy s’émancipait à Hollywood et dans le Paris de la Belle Epoque, une certaine Coco Chanel imposait ses idées.
Elles n’étaient pas nombreuses, mais toutes se sont affranchies et des hommes et de la société patriarcale !
Mme Lucy Muir, fraîchement veuve, ne trouve plus d’intérêt à vivre avec sa belle-mère et belle-soeur ; elle décide de s’affranchir de ces deux femmes quelque peu sèches de coeur et d’esprit en se retirant loin de Londres, avec sa fille et sa servante dans un cottage au bord de mer.
Seulement, la maison qu’elle visite est hantée selon les dires de l'agent immobilier.
Elle l’est en effet.
Peu importe, Mme Muir est sous le charme.
Non seulement, elle est déterminée à prendre son destin en main, d’assumer seule l’éducation de sa fille mais elle ne compte pas se laisser impressionner par le fantôme Daniel Gregg, marin de haute mer qui veut garder sa maison pour lui seul.
Elle devra aussi se heurter aux sarcasmes de son éditeur, de son bellâtre d’amant pour lequel elle tombera en pâmoison.
Seulement le cauchemar ne sera pas là où on l’attend, du côté des morts mais du côté des vivants.
Mme Lucy Muir est interprétée par Giene Terney, sans doute l’un de ses meilleurs films ; Rex Harrison prête ses traits au fantôme Gregg, bougon, malicieux et d’une tendresse pudique.
A cela s’ajoutent la maison, personnage tout aussi important et la musique de Bernard Herrmann qui pimente avec subtilité un mélange de romanesque et de fantastique.
Joseph Mankiewicz ne fait pas de son fantôme un ectoplasme, un personnage éthéré, il est de chair. Sa présence impressionne tout comme son rire !
Toutefois, il n’apparaît que pour Lucy.
A moins que ce soit Lucy qui parvient à voir le fantôme ;
Lucy veut dire « lumière », lumière intérieure qui permet de matérialiser le fantôme…
Le couple Lucy Muir / Daniel Gregg fonctionne parfaitement et je crois à ce conte romantico-fantastique.
Une des plus belles histoires d’amour du cinéma.
Quand le fantôme se penche sur Lucy pour lui signifier son départ afin qu’elle puisse vivre son histoire d’amour avec son bellâtre (George Steven) - je me rappelle en avoir voulu à Lucy dès la première diffusion -, les propos du fantôme ne sont rien d’autres qu’une déclaration d’amour.
Il s’efface, il renonce à la hanter, à jouer les fantômes, parce que jaloux !
Joseph Mankiewicz passe par ce truchement plutôt que d’envisager un stratagème qui aurait permis aux deux personnages de fusionner, comme un simple baiser ou une étreinte, par exemple.
Et c’est heureux car cela ajoute une charge émotionnelle à cette impossibilité.
« Ghost » a adopté ce subterfuge avec son personnage Sam (Patrick Swayze) qui se glisse dans le corps de Mae (Whoopi Goldberg) pour toucher la main de Molly (Demi Moore) ; cette séquence émouvante s’il en est, m’a semblé moins convaincante.
Ici, l’amour est pur et surtout cohérent.
La force de « L’Aventure de Mme Muir » c’est d’arriver à nous faire croire à ce conte pour adulte.
D’où la magie du cinéma, d’où le talent de Joseph Mankiewicz entre autres…
L’amour est affaire de patience.
Affaire de détermination.
Voilà pourquoi la fin m’a bouleversé.
Si l’inéluctable pouvait être semblable à la vision de Joseph Mankiewicz, alors l’inéluctable me paraîtrait doux.
Au fait : « étreinte » est l’anagramme de « éternité ».
Le fantôme et Lucy auront toute l’éternité pour s’étreindre…
Voilà pourquoi « L’aventure de Mme Muir » est un petit bijou de cinéma.
Et comme tout bijou de valeur, il ne vieillit pas et ne vieillira jamais…