La Collectionneuse est un roman filmé qu’un film. Rarement la voix-off se tait et nous laisse observer en voyeurs tranquilles l’été de nos trois personnages. Si Adrien commente la moindre action, à la plus grande exaspération du spectateur, c’est parce qu'il est imbus de lui-même, narcissique, égocentrique. Il pense que chacune des actions d’Haydée depuis trois semaines étaient prévues pour le séduire, lui, ou plutôt « Ma précieuse personne ». Son ami Daniel n’est pas plus sympathique et lorsqu’il rompt avec Haydée, il se regarde littéralement dans le miroir.
Ces deux jeunes libertins se croient détachés de tout. Pourtant face au butinage d’Haydée, ils se montreront d’un conservatisme violent. Ils lui interdisent d’inviter des garçons et refusent de la conduire à ses soirées lorsqu’elle le demande – non que le service soit pénible, mais plutôt pour l’obliger à rester à la maison. Tout en la méprisant, ils chercheront à coucher avec elle. Après l’avoir fait, Daniel la boude : il vit sa vie comme un théâtre dénué de toute sincérité et gentillesse. Un paradoxe que fait remarquer Haydée : « C’est complètement illogique. Tu me reproches de prendre n’importe quoi, et toi tu t’en vantes ». « Tu n’as pas le droit de te conduire en barbare, moi, si ! », répondra Daniel. Voilà le machisme de nos personnages, qui s’arrogent un droit qu’ils refusent aux femmes.
Pourtant, si les garçons sont snobs, misogynes, insultants, égotistes, les femmes ne sont pas des modèles non plus. Certes, Haydée ne juge personne (alors que les garçons la traitent de salope et la définissent comme une collectionneuse), n’est pas snob (elle ne participe pas à la longue conversation stérile entre le collectionneur et Adrien), ne cherche pas à imposer son mode de vie aux autres (là où les garçons essaient de lui enseigner une vertu dont ils sont dépourvus : « tu devrais faire comme nous, nous avons trouvé le bonheur dans la vertu et la vie simple » ; « ma pauvre chérie je trouve que tu manques de tenue »). Elle assume sa nonchalence, son détachement. Elle s’offusque rarement et est toujours prête à rire, même d’elle-même. En cela, elle est plus morale. Mais son obéissance aux garçons nous dérange. Elle acquiesce à toutes leurs propositions et leurs ordres : elle est d’accord pour venir se baigner à 7h, pour parler dehors deux minutes, pour sortir le soir, puis pour « se tirer »… et plus lugubre, pour passer la nuit chez un vieux collectionneur. « Elle joue la comédie », croira Adrien, mais Haydée n’est pas comme lui, elle ne joue pas de personnage. Elle obéit peut-être par désinvolture, parce qu’elle s’en fiche de se faire tripoter par Sam (comme il le fait avant qu’elle casse son vase), ou peut-être par automatisme et machisme intégré. Dans les deux cas, ce n’est pas une figure inspirante. Au début du film, le snobisme et le dandysme sont mis dans la bouche d’une femme : une amie de Daniel assure ne pouvoir discuter même cinq minutes avec quelqu’un de laid. Ses jugements sont catégoriques (il ne lui arrive jamais de changer d’opinion), et méprisants (« la laideur est une insulte aux autres »).
Ainsi, Rohmer dénonce le désir qu’ont les hommes de posséder les femmes (cf le dialogue entre Daniel et Antoine : « - prends-la ; - prends-la toi-même ; - c’est un service que je te demande »), et le désir d’humilier celles qui sont libres sexuellement (« cette petite sauteuse », « j’en ai marre de ces femmes qu’on se partage », « salope »). Pour autant, le vide intellectuel et moral d’une vie sans valeur touche tout le monde. Antoine finira par rejoindre sa petite amie du début à Londres. Sûrement plus parce qu’il est incapable d’être seul que par véritable amour, mais au moins aura-t-il compris l’insignifiance de sa vie de libertin.