Ayant vécu quelque temps en Croatie (magnifique pays dont je conseille vivement la visite au passage), je me suis de ce fait beaucoup renseigné sur l’histoire très mouvementée de l’ex-Yougoslavie. Et bien évidemment la guerre civile était une étape de choix d’une part à cause de sa violence et de ses conséquences géopolitiques et d’autre part parce que ce conflit est encore tout chaud, fini il y a seulement 20 ans. Et les ressentiments sont d’ailleurs toujours aussi palpables. Cette guerre est vraiment fascinante à étudier tant elle soulève des questions sur les nationalismes et les conséquences d’une union de pays présentant à la fois des similitudes et de grosses divergences culturelles. Bref fermons la parenthèse et attaquons-nous au film.
L’action de celui-ci se situe en Bosnie-Herzégovine pendant que les combats entre serbes et bosniens font rage. Après un affrontement surprise, plusieurs hommes se retrouveront piégés entre deux feux dans le No Man’s Land, démarrant l’attente d’un hypothétique secours. Le film de Denis Tamovic arbore un ton particulièrement acerbe sur la situation politique engendrée par cette guerre et n’hésite pas à mettre chaque partie prenante du conflit devant sa bêtise. Que ce soit chez les belligérants, sur l’OTAN ou encore sur les journalistes. No Man’s Land est un film sorti 6 ans après la guerre, ce qui a laissé le temps de prendre un peu de recul tout en demeurant encore très proche chronologiquement. D’autant plus que la guerre du Kosovo, autre incident majeur de la fin du siècle dernier, avait pris fin depuis peu. La violence de la critique et cette amertume se ressentent de façon d’autant plus forte, ce film se situe encore dans le vif du sujet.
Malgré leurs quelques ressemblances notables, les deux camps opposés ne peuvent s’empêcher de se détester à cause d’une haine profondément ancrée dans la culture de chacun et dont les racines restent complexes à analyser. Et on ressent cette souffrance du cinéaste qui met en scène ces deux soldats capables d’être solidaires, d’être sur le point de fraterniser avant d’être inévitablement rattrapés par leur rancœur et leur haine innées. Le tout filmé par des journalistes toujours plus friands de sensations fortes accompagnés de casques bleus dont l’action est inefficace, paralysée par des hautes instances incapables. Si ce n’est pas toujours très subtil, je pense qu’on se rapproche assez objectivement de la réalité du conflit et de ses différents ressorts.
Après je pense que j’aurais pu totalement adorer le film si il proposait une intensité encore plus forte entre les protagonistes du No Man’s Land, si il se centrait davantage sur leurs relations. Car à force de vouloir trop en dire, Tamovic s’écarte un peu des enjeux de survie dans la tranchée, ce qui est dommage car il y avait la possibilité de rendre cette attente encore plus âpre. Après, vu le ton du film, ça reste cohérent. Et niveau mise en scène c’est très propre également, grâce à un cadre soigné même si ça aurait pu être encore plus sale et dérangeant, notamment avec ce qu’il se passe dans la tranchée. Dans l’ensemble j’ai vraiment beaucoup aimé ce film bien qu’il manque peut-être un petit quelque chose pour crier au génie. Ça reste tout de même un beau film, parfois drôle et léger. Et souvent cruel. A l’image de ce jeu millénaire auquel se livre l’humanité depuis ses débuts et de ce plan final, désespérant au possible.