Le film a obtenu le Prix de la Mise en Scène dans la section Un Certain Regard et l'Œil d’or du meilleur documentaire au Festival de Cannes 2023.
Lorsqu'elle avait douze ans, la réalisatrice s'est rendue compte qu'elle n'avait aucune photo d'elle enfant. Interrogeant sa mère, celle-ci lui a donné une photo d’une autre petite fille. Asmae El Moudir se souvient : "Ce mensonge, souvenir sensible de mon adolescence, a été notre premier grand conflit. Après de nombreuses disputes, elle m’a finalement révélé son secret. Ma grand-mère, figure d’autorité et cheffe de famille, a toujours refusé toute représentation humaine à l’intérieur de la maison, prétextant que c’était interdit par notre religion. En réalité, la raison de son rejet des photos était plus profonde, beaucoup plus personnelle et douloureuse, comme je l’ai découvert au cours du tournage. Des images interdites."
Cette photo a été le point de départ pour explorer les secrets de famille et les mensonges afin de faire émerger les mémoires enfouies de son pays.
Après quelques années à l’étranger, la réalisatrice est retournée dans la maison familiale et dans le quartier de Casablanca où elle avait grandi pour aider ses parents à déménager. Lors d’une de ses visites, elle a vu à la télévision l’inauguration d’un cimetière dédié aux victimes des émeutes du pain de 1981 : "J’avais déjà vingt-cinq ans et découvrais pour la première fois cet événement complètement oublié de l’histoire de mon pays."
À l'exception d'une photo en noir et blanc de personnes mortes dans une rue, il n'existe pas de trace de cette émeute, ni d'archives nationales au Maroc. "Pour remédier à ce manque d’images, j’ai décidé de réaliser un film sur la mémoire d’un quartier à travers des événements personnels (les souvenirs de mes voisins) et des événements historiques (les souvenirs de mon pays)", déclare Asmae El Moudir.
Le 20 juin 1981 à Casablanca, pendant les "Années de plomb", un soulèvement populaire connu sous le nom d’émeutes du pain secoue les murs de la ville. Des hommes et des femmes issus des quartiers les plus défavorisés manifestent contre l’augmentation injuste du prix de la farine. Ces augmentations, imposées par le gouvernement, ont poussé les principaux syndicats à lancer un appel à la grève nationale. Des milliers de personnes ont répondu à cet appel et sont descendues dans la rue, principalement dans les quartiers défavorisés. Les manifestations se sont rapidement transformées en émeutes et ont été violemment réprimées par les forces de police, qui ont tiré sur les manifestants. À l’époque, les autorités font état de 66 morts, mais selon les syndicats, il y aurait eu plus de 600 victimes, voire plus d’un millier selon les partis de gauche CDT et USFP.
À l’issue de ces combats inégaux, les corps ont été emportés par les forces militaires afin d’éviter les enterrements publics et d’autres manifestations potentielles. Les militaires sont même entrés dans les maisons pour chercher les corps qui avaient été cachés par les familles. L’idée était d’effacer le plus rapidement possible toute trace des émeutes et d’empêcher la diffusion de toute information qui contredirait la ligne officielle.
Pour compenser l'absence d'archives visuelles, la réalisatrice a réalisé une réplique miniature de son quartier et de sa maison : "C’était une façon de reconstituer librement les faits à travers les souvenirs de chacun d’entre nous." Elle précise : "Je n’essaie pas de documenter la véritable histoire de ma famille, mais de faire un film sur la multiplicité des points de vue et la pluralité des interprétations qui existent au sein d’un même foyer, non seulement dans l’intérêt de l’histoire familiale, mais aussi dans celui de l’histoire nationale."
Elle a aussi utilisé des figurines faites en argile, bois, tissus et peinture. Ces miniatures ont été créées en partie par l'un des protagonistes du film : le père de la réalisatrice, Mohammed El Moudir. Quant aux costumes, c'est sa mère, Ouarda, qui les a réalisés.
Un élément récurrent du film est le décor typique des studios photo marocains : une gigantesque image d’Hawaï. Les Marocains associent Hawaï à la félicité. La réalisatrice revient sur ce choix esthétique : "Je voulais montrer l’ironie de cette quête irréaliste de félicité dans notre société. Cet arrière-plan hawaïen est utilisé à plusieurs reprises, incarnant les moments de recherche de la vérité. Il est également celui de ma première photo."