Le premier long métrage de Xavier Legrand, Jusqu’à la garde, abordait le sujet des violences conjugales. En prolongement de ses précédents films, Le Successeur creuse le sillon du patriarcat. Le metteur en scène explique : "L’expression « violences faites aux femmes » est beaucoup utilisée aujourd’hui, je l’ai d’ailleurs moi-même régulièrement employée lors de la promotion de Jusqu’à la garde, mais elle contourne sournoisement l’élément principal du fléau. En effet, dans « violences faites aux femmes », il apparaît comme le nez au milieu de la figure qu’il manque le protagoniste d’où émane le problème : l’homme."
"Dans Le Successeur, c’est donc de « la violence des hommes » dont il est question avant tout. Comment l’homme est-il aussi le bourreau de l’homme ? Aujourd’hui, on détecte aisément que le patriarcat est un régime qui soumet les femmes, les enfants, mais ce qui nous est moins évident, moins avouable, par son aspect transmissible et transgénérationnel, c’est qu’il écrase également les hommes, les frères, les fils. La sacralisation du lien de sang rend celui-ci indéfectible, non résiliable aux yeux de notre société. Les axiomes « de père en fils », « tel père tel fils » « au nom du père et du fils... » restent gravés dans nos mentalités."
Comme dans Jusqu’à la garde, Xavier Legrand a choisi d'injecter des codes du film de genre dans Le Successeur. Il confie : "En tant qu’auteur et réalisateur, je trouve un plaisir toujours renouvelé à jouer avec les codes en les tordant, en les détournant, en les contournant : utiliser un code spécifique et familier pour le spectateur, mais en l’ancrant dans le réalisme, le concret, la réalité des situations traversées. Ainsi, le spectateur reconnaît le code, mais il le redécouvre et l’éprouve autrement. J’ai cette intime conviction qu’avec le genre cinématographique, un spectateur ne se contente pas de s’identifier à un personnage, mais il ressent davantage, endure beaucoup plus les évènements avec lui."
"Mais ce qui est le plus intéressant, c’est que Le Successeur est sans doute un film de genre, mais d’un genre indéfinissable, hybride, polymorphe : film néo-noir, conte d’épouvante, parabole tragique, thriller anxiogène ?"
Xavier Legrand a choisi de situer Le Successeur au Québec. Il explique pour quelle raison : "Il s’agit de présenter le personnage d’Ellias dans son empire français, qui, même s’il est fondamentalement seul, il est malgré tout entouré, voire même assisté. En revanche, une fois arrivé sur le territoire canadien, il est d’autant plus seul qu’il est complètement isolé. J’aurais pu choisir de situer l’histoire en France, entre Paris et une ville de province, même lointaine - mais il n’aurait pas été assez isolé dans la tourmente."
"Il fallait qu’il voyage, et en même temps je souhaitais qu’il reste dans un pays francophone. La Belgique ou la Suisse étaient encore trop proches. Il était important qu’on sente chez lui un arrachement de ses origines, un déracinement complet."
Xavier Legrand a voulu construire deux univers précis, à la manière de ces récits où l’appel à l’aventure est d’abord refusé par le héros, puis finalement accepté par lui (avec le devoir de s’extraire de son univers confortable pour se plonger dans un autre beaucoup plus hostile). Il précise : "C’était d’autant plus intéressant qu’Ellias travaille auprès de l’élite parisienne – pour représenter ce secteur de la mode, il fallait des décors très luxueux. Lorsqu’il devient le directeur artistique de cette maison de Haute Couture, il est l’élu : « Le roi est mort ! Vive le roi ! » Le père spirituel, qui était avant lui à la tête de cette maison, lui lègue un vrai piédestal, d’où son père biologique va le faire chuter…"
"Lorsqu’il doit se rendre à Montréal, il se retrouve très vite en banlieue, dans un quartier pavillonnaire neutre. Il n’était pas question de succomber au fantasme de faire des beaux plans en montrant la beauté de Montréal, en filmant les beaux paysages du Québec, l’immensité de sa nature et de ses luxuriantes forêts. La seule forêt que je filme, on y pénètre de nuit : il n’y a plus de feuilles aux arbres, la neige fondue s’est transformée en boue et l’opacité de la nuit fait qu’on n’y voit absolument rien."
Le film s’ouvre sur une image de spirale durant un défilé de mode, avant qu’Ellias ne bascule lui-même dans une spirale infernale : "Cette image de spirale, c’est un labyrinthe comme celui de Dédale dans la mythologie, celui des Enfers de Dante ou encore celui de The Shining de Kubrick. On pense également à Vertigo d’Hitchcock. Je me suis inspiré de la scénographie d’un défilé qu’une grande maison de couture avait proposé : un décor magistral à partir de ce même motif. On est loin du traditionnel catwalk, du podium sur lequel les mannequins défilent", note Xavier Legrand.
Dans les premières versions du scénario, Xavier Legrand imaginait Ellias comme un personnage félin, délicat et gracile. Mais rapidement, sa fragilité nerveuse et son angoisse grandissante ont poussé le cinéaste à se tourner vers plus de subtilité. Il raconte : "Félin, féminin, délicat, Ellias l’est dans son for intérieur, mais en apparence, il me semblait alors plus intéressant qu’il dégage une masculinité plus simple, une virilité plus classique. Il était important pour moi de déconstruire l’image standard du premier rôle masculin. Ici, il est question d’un homme qui n’assure pas, qui ne gère pas, qui est envahi par la trouille, submergé par la crainte, qui perd les pédales, totalement écrasé par le désastre."
"Il faut un acteur solide pour pouvoir plonger dans ce genre de méandres, dans une partition composée de trouille, de pleurs, de morve, de suffocation, d’incontinence, d’étouffement. Marc-André s’est imposé comme une évidence. Des yeux enfantins dans un corps gaillard, fiévreux, émouvant, concret, charismatique, fort, solide, délicat, précis, doté d’une grande intelligence et d’une grande gravité, Marc-André porte toute la puissance et l’ambivalence qu’il faut pour le rôle."