Derrière la biographie d’un mafieux écrite dans le respect du schéma ascension-gloire-décadence, Ted Demme brosse le portrait d’une paternité meurtrie sur deux générations pensées comme miroir l’une de l’autre : c’est d’abord la souffrance d’un père qui se tue à la tâche pour n’obtenir, en retour, qu’invectives, mépris et isolement ; c’est ensuite l’incapacité d’un jeune ambitieux à se détacher de ce contre-modèle dont le poids de l’hérédité semble plus fort que les efforts déployés contre lui. Résonnent, dans Blow, les cris d’agonie d’une paternité jouée sur mode mineur : au premier plan s’activent les projets et les rencontres, les pactes et les transferts de marchandises illicites. Demme sait utiliser un montage nerveux composé de plans brefs pour tisser fil après fil une toile gorgée d’outrances et de passions brûlantes, qu’il détricote à mesure que le personnage de George se cogne à sa famille. Le domicile familial perd dès le début ses caractéristiques intimes et positives pour se transformer en théâtre d’ombres dans lequel paraissent ou disparaissent les êtres aimés. Face à la maison, la prison s’affirme telle l’école du crime, lieu de sociabilité par excellence où se nouent les relations entre détenus. « Je suis entré avec un bac en marijuana et je suis sorti avec un doctorat en cocaïne », reconnaît non sans humour notre personnage. Dès lors, le monde de la mafia, aussi violent et immoral puisse-t-il être, offre au protagoniste principal un cadre porteur, une structure à partir de laquelle cultiver une notoriété mais qui s’avèrera, à terme, aussi illusoire que l’honnêteté inerte de son père. Tout ce qui se noue est appelé à se dénouer, toute transaction a une date de péremption fixée dans le temps et limitée aux trajets. Blow est un coup de poing dirigé contre la morale – cette même morale qui n’a pas su récompenser le bon travailleur – qui n’aboutit qu’à brasser de l’air, qu’à produire l’image du mouvement, le mouvement d’une âme solitaire dans un monde insaisissable. On quitte un état pour renaître dans un autre, on change de pays on change de langue ; on revient au point de départ, dans tous les cas. Les femmes se succèdent et causent le malheur de l’homme : la belle Penélope Cruz prend progressivement les traits de la mère absente, réclame une pension alimentaire, éloigne l’enfant. Or, cette misogynie assumée constitue bien la base de la tragédie familiale tout autant que la réactualisation d’un thème topique du film de mafieux. Seulement, en construisant son récit sur une trame ouvertement misogynie, Demme accorde à la femme une place tout à fait intéressante, opposée à celle qu’a l’habitude de véhiculer le genre cinématographique (le père défaillant et coupable versus la mère innocente et protectrice). En renversant l’axiologie traditionnelle, Blow orchestre les cartels de drogue comme une symphonie de la solitude paternelle, osant en clausule le mirage des retrouvailles pour mieux, par un ultime coup de théâtre, chanter l’existence comme la somme d’espérances et d’illusions.