L'Innocence : les secrets du tournage

"Je crois que le producteur Genki Kawamura m’a contacté en 2019", se souvient Hirokazu Kore-eda. À l’époque, les producteurs Genki Kawamura et Kenji Yamada avaient développé un projet de long métrage écrit par Yuji Sakamoto, lequel a expliqué qu’il souhaitait que le film soit réalisé par Kore-Eda. Le cinéaste et le scénariste avaient déjà été en contact via les réseaux sociaux, puis se sont rencontrés physiquement en 2015, avant de se revoir plusieurs fois par la suite. Rapidement, Kore-Eda a exprimé son envie de travailler avec Sakamoto : "Car, de toute évidence, je ne suis pas capable d’écrire un scénario comme lui."

"Depuis qu’il s’est fait connaître avec Tokyo Love Story (1991), il s’est imposé dans le secteur de la télévision. Mais j’ai été surpris en découvrant Our Textbook en 2007. Bien qu’il soit l’auteur le plus en vue du métier depuis très longtemps, il a su renouveler son style d’écriture. J’ai beaucoup de respect pour sa volonté de se réinventer et de se confronter à de nouveaux défis. C’est Still, Life Goes On (2011) qui m’a totalement convaincu. J’ai été époustouflé par sa manière brillante d’évoquer la famille d’un délinquant dans une série. Je suis fan de Sakamoto depuis cette époque", se rappelle le metteur en scène japonais.

L'Innocence a été proposé au cinéaste au moment même où il avait le sentiment qu’il ne parvenait plus à écrire ses propres scénarios et personnages. "Sakamoto a imaginé plusieurs personnages que je n’aurais pas pu inventer. J’ai donc été très heureux lorsqu’on m’a sollicité avec ce projet."

Kore-eda, Kawamura, Yamada et Sakamoto se sont rencontrés à plusieurs reprises et ont souvent échangé leurs idées par email, tandis que Sakamoto écrivait le scénario. Si le récit n’a guère varié par rapport à l’intrigue initiale, la première mouture du scénario durait environ trois heures. Le scénariste a alors entrepris d’élaguer plusieurs parties du script, et d’en réintégrer d’autres. Il a pris le temps d’écrire la version finale en pleine pandémie de Covid-19 qui en a retardé l’évolution. Il a continué d’y travailler jusqu’au tout début du tournage début 2022.

L'Innocence a obtenu le Prix du Scénario ainsi que la Queer Palm au Festival de Cannes 2023. Hirokazu Kore-eda est un habitué de la croisette puisque plusieurs de ses films y ont été présentés ou primés. C'est le cas de Nobody Knows (Prix d'interprétation masculine pour Yûya Yagira en 2004), Tel père, tel fils (Prix du jury et mention spéciale du Prix du jury œcuménique en 2013) et Une affaire de famille (Palme d'or en 2018).

C’est la première fois, depuis Maborosi (1995), son premier long métrage, que Hirokazu Kore-eda réalise un film dont il n’a pas écrit le scénario. Cependant, il s’est associé aux "recherches de terrain" - dans le but de contribuer au développement du script – à Suwa, dans la préfecture de Nagano, où se déroule l’histoire. Et comme il a fallu plusieurs mois pour finaliser le scénario, le réalisateur souligne qu’au moment où le tournage a commencé, "je n’ai pas eu le sentiment que le film avait été écrit par quelqu’un d’autre. C’est une histoire extrêmement solide découpée en plusieurs chapitres."

"Les histoires que j’écris généralement sont des tranches de vie. Je dépeins un certain enchaînement d’événements dans la vie d’un personnage et je laisse au spectateur le soin d’imaginer ce qui s’est passé avant et ce qui se passera sans doute après. Pour moi, cela ne relève pas de la dramaturgie. Dans ce film, certaines scènes reposent sur la présentation des personnages, mais c’est fondamentalement un film dont la narration est forte. Le récit est clair et solide."

Les scénarios de Kore-Eda subissent souvent des modifications sur le plateau – et des versions imprimées, indiquant les changements, sont remises aux comédiens et aux techniciens. Sakamoto avait signalé au cinéaste qu’il pouvait modifier le scénario et les dialogues à sa guise sur le tournage, mais il a adopté un parti-pris différent. Il confie :

"Je me suis dit que ce serait difficile d’ajouter un nouveau dialogue, qui me viendrait soudain à l’esprit. Il n’y a donc quasiment eu aucune modification apportée au scénario sur le plateau. J’ai quand même légèrement adapté certaines répliques et situations, mais j’ai demandé à Sakamoto son accord avant de faire le moindre changement."

Andō Sakura, qui incarne dans L'Innocence Saori, cette mère douce et dévouée qui ne peut retenir ses émotions, retrouve Kore-Eda pour la deuxième fois après Une affaire de famille (2018). "Andō Sakura est une comédienne aux ressources inépuisables. Je ne pensais avoir fait le tour de ses nombreux talents dans Une affaire de famille si bien que j’attendais l’occasion de retravailler avec elle. Mais je crois que je n’en ai toujours pas fait le tour !", raconte le metteur en scène.

Kurokawa Soya, dans le rôle de Minato, fils de Saori, et Hiiragi Hinata, dans celui de Yori, camarade de classe de Minato, trouvent ici leurs premiers rôles. Hirokazu Kore-eda se rappelle : "Kurokawa était extrêmement sensible et s’est servi de ses émotions pour se glisser dans la peau de son personnage. Par ailleurs, Hiiragi a mémorisé son texte comme s’il prenait une photographie mentale de ses répliques, si bien que son jeu n’a pas varié même si la situation, elle, changeait. Ce sont deux types d’acteurs différents qui se sont entendus à merveille. Ils étaient tellement bons que mon seul rôle sur le plateau consistait à faire en sorte de créer un environnement de travail qui leur permette de laisser libre cours à leur complicité."