Un automne à Great Yarmouth est à l’origine une pièce de théâtre écrite par Marco Martins. Toutefois, le film a davantage été pensé comme la continuité des recherches que le réalisateur a faites pour sa pièce que son adaptation à proprement parler : "La première fois que je me suis rendu à Great Yarmouth, c’était 2016, après la fin du tournage de Saint-Georges. J’ai découvert une ville qui autrefois avait été une station balnéaire pour la classe moyenne anglaise, et qui aujourd’hui est devenue une ville fantôme où vit une grande communauté de migrants portugais."
"J’ai commencé à les rencontrer. Tous travaillaient dans les usines périphériques de la ville et vivaient dans les hôtels du bord de mer. Plus j’écoutais leurs témoignages, plus je commençais à avoir des images mentales qui apparaissaient. J’ai compris que Great Yarmouth incarnait pour moi le paradoxe de notre société et de nos conditions de vie."
"Après la crise de 2009, on est entré dans un nouveau monde : celui de l’austérité. On a alors injustement mis la faute sur les plus pauvres et la classe ouvrière. En réalité, c’était l’inverse. Ce système a normalisé une forme d’exploitation des travailleurs, tout en niant les lois humaines et sociales. Dans le cas de Great Yarmouth, ces migrants portugais n’ont aucun droit. S’ils sont malades ou blessés (ce qui arrive très souvent), ils ne sont pas couverts ni aidés ; ils sont au plus bas de l’échelle sociale. C’est cette déshumanisation qui m’intéressait. Je voulais que cette misère soit davantage visible et mise en avant, tout en donnant une voix à ces travailleurs."
Un automne à Great Yarmouth forme un diptyque avec Saint-Georges (également avec Nuno Lopes), qui parlait d’un homme qui perdait son emploi et rejoignait une société de recouvrement. Marco Martins raconte : "Malgré tout, il continuait de croire au système et à ses valeurs, notamment la famille. En me rendant à Great Yarmouth, l’association s’est faite automatiquement. J’ai vu ces communautés de migrants portugais et j’ai pensé que les travailleurs de ces usines de dinde étaient les mêmes travailleurs sans emploi de Saint-Georges. La grande différence réside dans le personnage principal : Tânia ne croit plus au système, et elle devient ainsi une contradiction d’elle-même."
Marco Martins retrouve Beatriz Batarda et Nuno Lopes. Il se rappelle : "Depuis mon premier film, nous nous comprenons et parlons le même langage artistique. Ils sont devenus des proches. Le personnage de Tânia a été écrit pour Beatriz. Je n’avais alors encore jamais écrit un personnage principal féminin, et quand j’ai entendu parler de cette « mère des Portugais », j’ai tout de suite pensé à elle. J’ai préparé les acteurs en les faisant venir à Great Yarmouth à trois reprises avant le tournage. Au fil de ces expériences et de leur présence dans la ville, le scénario évoluait."
Un automne à Great Yarmouth dépeint une triste et violente réalité, celle de l’exploitation des migrants portugais dans le Norfolk. Marco Martins confie : "Les thèmes sociaux et politiques sont de plus en plus présents dans mon travail. J’ai été particulièrement marqué par la crise de 2009-2014, qui a été un événement capital pour les gens de ma génération. Le développement des politiques néo-libérales, l’impact que cela a eu sur nos vies, nos institutions, notre démocratie… C’est quelque chose qui se reflète dans mon travail. Ces thèmes se sont imposés à moi tout d’abord au théâtre où je mets souvent en scène le quotidien de travailleurs incarnés par des acteurs non professionnels."