Figure majeure du cinéma iranien, artiste complet et héros pour beaucoup, Jafar Panahi livre avec Aucun Ours un film touchant, dans lequel il joue son propre rôle avec brio. Engagé contre les abus du régime iranien, critique envers les mœurs de son pays, son film est comme une lettre documentant sa recherche et ses conditions de travail. Le suivi parallèle de deux histoires, la sienne et celle des protagonistes de son prochain film qu'il dirige depuis un village reculé de montagne, à la frontière, a le mérite de traiter plusieurs thèmes : Le regard d'autrui - des villageois comme de son équipe -, le poids des traditions, la fermeture du pays et la dangerosité de la frontière, la quête de liberté, enfin. Tout s'entremêle parfois ; il faut dire que nonobstant sa relative "solitude", le Panahi intime que nous côtoyons est constamment sollicité. Drôle par son caractère - peu bavard, plongé dans ses idées, mais observateur, et dégageant une incontestable humilité/gentillesse -, qui m'a un peu fait penser au grand Marcelo Bielsa (Les deux hommes ont la même carrure !), et d'une grande humanité, le réalisateur, en s'installant au plus près des lieux évoqués dans le film qu'il tourne à distance, montre combien il est important de s'imprégner de l'esprit des sujets évoqués, en approchant, au plus près, de leur réalité. Ce réalisme nécessaire aux œuvres honnêtes est une force majeure de ce "Aucun Ours", qui transpire de sincérité. Quant au titre, mystérieux, que peut-on en dire ? Plusieurs interprétations sont possibles. Personnellement, je le prends comme une sorte de défi aux autorités iraniennes, aux artistes iraniens, et, un peu, à tout un chacun. L'ours de la métaphore, c'est l'interdit ; la peur de froisser, de tenter, de se lever contre l'arbitraire et le mal car les conséquences peuvent-être terribles. Les risques sont ce qu'ils sont ; hélas, Panahi le rappelle, quand l'injustice et les rapports de domination font loi, il y a des victimes. Mais justement : C'est pour elles, et pour éviter qu'il y ait d'autres victimes, ou simplement pour une juste cause, qu'il faut entreprendre ce qui semble devoir être entrepris. Il n'y a aucun ours sinon en notre for intérieur ; le comprendre, c'est comprendre que oui, décidément, il n'y a Aucun Ours.