L'Ange ivre (1947) marque la première collaboration entre Akira Kurosawa et Toshirô Mifune dont la fin est marquée par Barberousse (2004), après quatorze films qui vont révéler aux yeux de l'Occident la richesse du cinéma du pays du Soleil Levant.
Au même titre que Toshirô Mifune, Takashi Shimura, le Dr Sanada dans L'Ange ivre, a souvent tourné sous la direction d'Akira Kurosawa. Leur collaboration démarre avec La Légende du grand judo puis L'Ange ivre la même année, où il partage la première fois l'affiche avec Toshirô Mifune. Les trois se retrouvent sur les plateaux de Chien enragé, Scandale, Rashomon, L'Idiot, Les Sept samouraïs, Le Château de l'araignée, La Forteresse cachée, Sanjuro, et Barberousse.
Comme le dit lui-même Akira Kurosawa : "L'Ange ivre est le premier film que j'ai dirigé qui soit libéré de toute contrainte extérieure" (Guide des films, de Jean Tulard). Auparavant, certains de ses films avaient connu des difficultés pour exister en raison de la censure qui sévissait à la fin des années 30 et durant la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, La Légende du grand judo (1943) avait été amputée de quelques scènes d'amour. L'occupation américaine, à partir de 1945, a quant à elle coïncidé avec la tentative de démocratisation des médias et de l'industrie cinématographique. En conséquence, tout esprit militariste et "médiéval" devait être banni, ce qui laissait de fait encore plus de marge de manoeuvre à la censure. Un certain nombre de films historiques ont donc également été interdits pour propagation supposée de "l'esprit féodal", tel que Les Hommes qui marchent sur la queue du tigre.
L'Ange ivre est le premier grand film à dépeindre le monde des yakuza, les gangsters de la mafia japonaise. Le mot yakuza est tiré d'une combinaison perdante du jeu de cartes japonais appelé "hanafuda". La combinaison est le 893 : "ya" signifie 8, "ku" signifie 9 et "za" qui est une déformation de "san" signifie 3. Ce mot est donc synonyme de perdant, car les yakuza sont à l'origine à la marge de la société, parmi les populations les plus pauvres.
La performance de Toshirô Mifune a tellement marqué les esprits que les spectateurs croyaient que l'ange ivre du titre faisait référence à son personnage, alors qu'il était en réalité question de celui de Takashi Shimura. Le docteur est bien l'ange qui cherche à secourir le yakusa malgré sa propre dépendance à l'alcool.
Le personnage de Toshiro Mifune ne devait à l'origine être qu'un second rôle ; toutefois, Akira Kurosawa a été tellement impressionné par l'acteur que son rôle a considérablement gagné en épaisseur, finissant par apparaître autant que le personnage principal à l'écran.