"Le cinéma parlant m’est toujours apparu comme l’art du mensonge par excellence, et depuis longtemps, je souhaitais raconter une histoire autour d’un faux coupable ou d’une fausse coupable", explique François Ozon. En découvrant Mon Crime, une pièce de théâtre de 1934 de Georges Berr et Louis Verneuil, le réalisateur français a trouvé l’occasion de se confronter à ce thème. Son film est une adaptation libre de la pièce : il en a conservé le contexte historique et politique tout en évoquant des préoccupations contemporaines autour des rapports de pouvoir, d’emprise dans les relations hommes/femmes. Il a cherché à faire une reconstitution stylisée des années 30 dont le matériau, "de premier abord, pouvait apparaître dépassé, pour en faire ressortir toute la modernité, sur un rythme tout aussi actuel, vif et joyeux".
François Ozon a ressenti le besoin de faire un film fantaisiste et léger, qui nous permette d'échapper aux difficultés du présent : "D’où mon désir de retrouver l’esprit de la screwball comedy, avec des dialogues à la mitraillette et des situations cocasses et incongrues où les protagonistes inventent des astuces pour se tirer de situations dramatiques. Il m’a semblé que c’était le genre idéal pour raconter cette histoire, avec un ton de farce tendre, ironique, jouant sur l’absurde, tout en assumant une part de théâtralité."
Comme dans Les Amandiers de Valeria Bruni Tedeschi, Nadia Tereszkiewicz incarne dans Mon Crime une actrice : "Comment exprimer sa sincérité alors même qu’on est en train de jouer et donc de mentir ? C’est la question que tous les acteurs se posent." La comédienne a pris plaisir à incarner ce rôle haut en couleur : "Ma réponse fut d’être tout le temps du côté de Madeleine, sincère dans toutes les situations. Je crois en elle. Elle est spontanée, ne planifie rien. Elle avance comme elle peut, suicidaire puis, l’instant d’après, légère, avec l’envie d’aller au cinéma. On la découvre amoureuse, malicieuse, parfois manipulatrice. Mais toujours pour la bonne cause. Elle a une forme de pureté."
Bien que le personnage de Madeleine soit opportuniste, elle parvient à faire bouger le statut des femmes. Tous les moyens sont bons pour échapper à sa condition. "Avec une certaine innocence, puis avec conviction, elle porte une parole moderne face à une société patriarcale, dans laquelle les femmes n’ont ni le droit de vote, ni la possibilité d’avoir leur propre carnet de chèques", souligne son interprète, Nadia Tereszkiewicz. "François [Ozon] a gardé de la pièce originale ces résonances étonnantes avec notre époque en les adaptant. Il en a fait un film profondément féministe. À la lecture du scénario, j’étais touchée par le lien de sororité entre Madeleine et Pauline. Fort, indestructible. Elles veulent s’en sortir... ensemble !"
Ancienne pensionnaire de la Comédie Française, Rebecca Marder y est entrée à l'âge de 20 ans et a quitté l'institution sept ans plus tard. Tourner Mon Crime lui a permis de renouer avec l'esprit des planches : "j’ai découvert le scénario où le théâtre était assumé, avec sa langue tenue, ses répliques pleines d’esprit et d’actualité par ses thèmes, je me suis retrouvée dans un univers familier qui prenait un tour nouveau grâce au cinéma." Elle ajoute : "Le tournage allait très vite et j’avais l’impression de ne jamais vraiment m’arrêter de jouer, d’une façon assez proche de la continuité de jeu que l’on a sur scène pendant une représentation. L’impression aussi de retrouver un esprit de troupe. Les grands acteurs confirmés et nous, encore vertes, qui avons tous été mis sur un pied d’égalité."
"Les premières questions qui se sont posées avec François, c’était : faire une lumière naturaliste ou pas ? Faire un film en noir et blanc ou en couleurs ?", explique le directeur de la photographie Manu Dacosse. François Ozon cherchait à retrouver l'esprit des films des années 30 d'Ernst Lubitsch et Sacha Guitry qu'il aimait, mais sans les pasticher. Le défi était de rester dans une lumière "réaliste", crédible pour l’époque sans chercher à reproduire ce que l’on voyait dans les films des années 30. "Aujourd’hui, le matériel, les pellicules ont changé et surtout le numérique a modifié la manière d’éclairer. À l’exception des scènes de flash-back en noir et blanc, tournées en pellicule 16 mm dans un format 1.33, où j’ai sur-éclairé pour retrouver l’aspect des films muets, j’ai cherché à faire venir la lumière depuis l’intérieur de l’image", détaille Dacosse.
Le chef décorateur Jean Rabasse collabore pour la première fois avec François Ozon sur Mon Crime. Ensemble, ils ont effectué de nombreux repérages, qui les ont amenés à découvrir des endroits jamais vus au cinéma. Ainsi, le deuxième bureau du juge a été filmé à l’hôtel de ville de Charleroi, en Belgique, "un décor incroyable, jamais filmé, d’un art déco plus dur et plus chargé qu’en France, presqu’Américain, qui correspondait bien à l’esprit des comédies sophistiquées de l’âge d’or d’Hollywood, dont François voulait s’inspirer."
Quant au bureau des usines Bonnard, il est conçu comme une imbrication d’influences de trois-quatre architectes différents et d’une scène des Temps modernes de Chaplin : "On joue avec les codes. Cela donne un côté un peu décalé. On est dans les années 30 mais avec quelque chose de plus moderne, plus coloré, graphique, presque pop. Dans une réalité qui conduit vers une autre."
Enfin, la rue Jacob a été reconstituée non pas à Paris, faute de budget, mais à Bordeaux. Rabasse détaille : "On y retrouve la patine des vieilles rues de Paris. Ça me permettait d’avoir un traitement de studio dans un décor naturel. La combinaison du décor réel, de la fabrication (on refait les façades dans la rue, par exemple) et la possibilité du numérique, nous ramenait à l’esprit même du projet : une théâtralité avec un petit pas de côté."
La chef costumière Pascaline Chavanne est une collaboratrice fidèle de François Ozon : Mon Crime est leur 20ème film ensemble. Il n'était pas question de reproduire à l'identique les tenues de l'époque, mais de s'adapter aux physiques des acteurs d’aujourd’hui. Chavanne a constitué un dossier iconographique d’après lequel elle a établi avec François la ligne à suivre : donner un côté hollywoodien à l’adaptation, jusque dans le réalisme du début, lorsque les héroïnes sont dans la pauvreté.
Pour le perosnnage d’Odette Chaumette, l'inspiration venait de Sarah Bernhardt : "Sa tenue est donc hors-sujet question époque, puisqu’elle porte les oripeaux du théâtre de 1900 et que le film se déroule en 1935. Mais cela correspond au profil d’Odette Chaumette qui est une survivante du cinéma muet, d’un style de théâtre grandiloquent et qui est dans une permanente mise en scène d’elle-même ; son costume raconte tout cela."