Loin des clichés
André Téchiné a 81 ans et depuis 197e – et Souvenirs d’en France -, il trace une route très personnelle, tout en finesse et délicatesse dans le panorama français du film d’auteur, avec un grand A. Près de 30 films ont jalonné cette carrière avec pas mal de perles comme Les Roseaux sauvages, Ma saison préférée, Hôtel des Amériques, La fille du RER, L’homme qu’on aimait trop, L’adieu à la nuit¬, – liste non exhaustive -. Pour ces nouvelles 85 minutes, le cinéaste, comme à son habitude traite avec subtilité un fait de société et pose des questions graves. Lucie est une agent de la police technique et scientifique. Son quotidien solitaire est troublé par l’arrivée dans sa zone pavillonnaire d’un jeune couple, parents d’une petite fille. Alors qu’elle se prend d’affection pour ses nouveaux voisins, elle découvre que Yann, le père, est un activiste anti-flic au lourd casier judiciaire. Le conflit moral de Lucie entre sa conscience professionnelle et son amitié naissante pour cette famille fera vaciller ses certitudes… Encore une fois, un excellent film de Téchiné porté par un trio formidable. A voir pour tenter de répondre à des questions qui agitent notre société.
Le film s’ouvre par une scène de manifestation de la police, mettant en avant, d’emblée, cette part sensible, vulnérable de cette police. Cette face cachée liée à un dysfonctionnement de la profession dont on parle finalement assez peu. Ce n’est hélas pas dans l’air du temps. Téchiné ose aller plus loin, dans une autre scène de réunion syndicale la déléguée syndicale pointe la souffrance au travail de ses collègues. Le scénario situe l’intrigue dans une zone pavillonnaire indéfinissable, entre ville et campagne. Le défi a été de filmer ces espaces comme ils sont. Puis à s’intéresser au plus près aux émotions des acteurs, à leurs gestes, leurs regards, leurs tremblements dans ces lieux à la fois étranges et familiers. Téchiné, sur un sujet aussi sensible, parvient à éviter à la fois, les clichés faciles et trop largement répandus dans l’imaginaire des français et le manichéisme d’un monde où tout serait blanc ou noir, sans nuances. Ici, le monde est gris avec des moments solaires. Un film qui regarde la France dans le blanc des yeux.
Alors que Téchiné a déjà tourné près de 10 films avec Catherine Deneuve, il n’avait encore travaillé qu’une seule fois – il y a 45 ans, pour Les Sœurs Bronté - avec Isabelle Huppert, qui, ça ne vous surprendra pas, est parfaite en tous points dans ce rôle délicat et sensible. Elle forme un magnifique trio avec Hafsia Herzi et Nahuel Perez Biscayart. Ce drame est d’une justesse et d’une intelligence rares. Peut-on encore réconcilier les contraires ? Le fossé qui s’est creusé entre des « France » si différentes et antagonistes peut-il être comblé un jour ? Téchiné, cinéaste des dilemmes et des déchirements, se garde bien de répondre et nous laisse proches du malaise. Et vous ?