La Passion de Dodin Bouffant : les secrets du tournage

La Passion de Dodin Bouffant est adapté du roman suisse La Vie et la passion de Dodin-Bouffant de Marcel Rouff, publié en 1924. Pour l'occasion, le metteur en scène Trần Anh Hùng revient derrière la caméra sept ans après son dernier film, le drame Éternité. Il confie : "Cela fait des années que je cherche un sujet sur la gastronomie qui est un travail et un art. Je suis finalement tombé sur La vie et la passion de Dodin-Bouffant, gourmet, de Marcel Rouff. Il y avait là des pages magnifiques sur la gastronomie."

Le livre de Marcel Rouff commence par la mort brutale d’Eugénie Chatagne après son retour du marché. Pour le film, Tran Anh Hung a choisi, au contraire, de la mettre en scène, bien vivante, aux côtés de Dodin. "J’ai préféré raconter l’histoire qui précède l’ouvrage de Marcel Rouff. Cela me laissait libre d’imaginer la relation qu’Eugénie et Dodin Bouffant avaient pu entretenir. Et c’était également l’occasion d’explorer un thème peu traité au cinéma : la conjugalité. Elle est encore moins traitée quand elle se passe bien", précise le cinéaste.

De 1999 à 2003, Juliette Binoche et Benoît Magimel ont vécu une belle histoire d’amour après s'être rencontrés sur le tournage des Enfants du siècle de Diane Kurys. Cette relation a donné naissance à une jeune Hana, vue récemment aux côtés de sa mère dans Avec amour et acharnement.

La Passion de Dodin Bouffant a été tourné dans un château en Anjou, comme s'en rappelle Tran Anh Hung : "J’avais très peu de temps pour la préparation et j’ai eu la chance de trouver ce lieu le deuxième jour de repérages. Il avait une qualité essentielle : une belle circulation entre les pièces qui permettait de créer une activité très vivante dans le château entre la cuisine et la salle à manger, la chambre de Dodin et la chambre d’Eugénie, etc. Dodin parcourt les couloirs et les escaliers pour rejoindre Eugénie. On le voit également dans de nombreuses scènes y chercher cette femme qui lui échappe."

Le chef triplement étoilé Pierre Gagnaire joue le rôle de consultant : "C’est Patrick Rambourg qui m’a mené vers lui. Alors qu’il travaillait sur le scénario comme conseiller historique pour tout ce qui concernait la gastronomie, je lui ai demandé s’il pensait à quelqu’un pour tenir ce rôle ; il m’a parlé de Pierre Gagnaire. 'Allez le voir, m’a-t-il dit, c'est un homme adorable'. Pierre et moi nous sommes vus une première fois dans sa cuisine où il m’a invité à venir goûter un merveilleux pot-au-feu qui figurait justement sur sa carte.

"Et nous avons vraiment commencé à travailler au moment de la préparation. Pierre a d’abord fait un tri dans la liste des menus et des plats que Patrick Rambourg et moi avions établie : 'Ça, c’est bien ; ça, je ne sais pas ce que c’est ; ça, on oublie…' Est arrivé ensuite le moment où il a dû préparer et cuisiner ces plats pour que je voie ce qu’il y avait à filmer. C’était émouvant de l’observer évoluer derrière ses fourneaux : il cherche, se trompe parfois, recommence jusqu’à obtenir ce qu’il veut", se remémore Tran Anh Hung.

Pierre Gagnaire était trop occupé pour participer à toutes les préparations culinaires que l’on voit dans La Passion de Dodin Bouffant, mais il a réalisé lui-même tous les plats du film pendant la préparation, avant le tournage. Tran Anh Hung se souvient : "C’était une étape essentielle pour moi pour comprendre ces plats et vérifier qu’ils étaient intéressants à filmer. Une fois cela défini, c’est Michel Nave qui a pris le relais pour le travail sur le plateau. Michel Nave a travaillé pendant plus de quarante ans avec Pierre et il venait juste de prendre sa retraite. Sans Michel, Pierre n’aurait jamais accepté le film. Il savait la charge que représentait le travail sur le plateau."

"Imaginez que, rien que pour filmer le pot-au-feu, Michel Nave a dû manipuler quarante kilos de viande : la viande crue qu’on prépare et met à cuire, celle qui est déjà cuite qu’on va découper, dresser dans l’assiette… C’était un travail énorme. Pour la scène des ortolans, qu’il a créé à partir de cailles en réduisant la taille (l’ortolan étant devenu une espèce protégée), il s’est retrouvé à cuisiner dans un coin en ruine tout poussiéreux, sur un tas de gravats, derrière le décor, un pied plus bas que l’autre, avec un réchaud à gaz ! Il a adoré ça. Il trouvait cela vivifiant. Dans ma vie, disait-il en riant, je me suis souvent plaint des conditions de travail, mais là ça dépasse tout !"

"L’équipe technique elle-même n’en revenait pas ; elle non plus n’avait jamais vu ça. Sur les tournages où il est question de gastronomie, elle avait l’habitude de voir des plats fictifs, relookés pour les besoins des tournages. Là, tout était vrai."

La Passion de Dodin Bouffant a été choisi pour représenter la France dans la course à l'Oscar du Meilleur Film en Langue Étrangère.

Tran Anh Hung a tourné le film avec une seule caméra : "Il y a deux sortes de réalisateurs : le réalisateur à dispositif et celui qui ne s’y intéresse pas. Mon ambition cinématographique me fait appartenir à la première catégorie. J’aime déterminer des déplacements des personnages et de la caméra qui permettent de créer un flux cinématographique intéressant et que, à l’intérieur de cet agencement, on puisse, dans le même plan, passer d’un plan très serré à un plan plus large, à un plan moyen, d’un moment en mouvement à un moment immobile, et ainsi de suite. Et tout cela, d’une manière musicale."

"C’était particulièrement difficile pour les comédiens sur ce film, parfois même crispant. Il fallait qu’hors champ, ils guettent sans cesse le bon moment pour entrer quand la caméra passe. C’étaient eux qui décidaient du rythme, j’étais entre leurs mains, j’ai eu beaucoup de chance d’avoir des acteurs aussi merveille."

La Passion de Dodin Bouffant a obtenu le Prix de la Mise en Scène au Festival de Cannes 2023. Tran Anh Hung est un habitué de la croisette puisqu'il a reçu la Caméra d'or en 1993 pour L'Odeur de la papaye verte, son premier long métrage.

En amont du tournage, Juliette Binoche et Benoît Magimel étaient très pris et avaient donc peu de temps pour se préparer. Heureusement, tous deux sont de fins gourmets et cuisinent dans la vie. "Ils se sont révélés extrêmement expressifs et justes sur le plateau de tournage. Ils n’avaient pas du tout besoin de longues préparations", note Tran Anh Hung.