Cecilia Rouaud tombe elle-même dans les pommes quand elle voit une goutte de sang. Il s'agit d'un dérèglement du cerveau reptilien qui se croit en danger de mort en présence de sang, ce qui conduit à une baisse de la tension et du rythme cardiaque provoquant l'évanouissement. La réalisatrice explique :
"C’est à la fois gênant... et très drôle. Je me suis demandée dans quelles conditions cela pouvait devenir réellement problématique et j’ai trouvé : si j’étais amenée à tuer des gens pour survivre ! Max, qu’interprète François Damiens, était né ; un tueur à gages qui s’évanouit lorsque le sang coule et ne peut donc plus exercer son métier."
Via ce jeune et sympathique couple (William Lebghil et Laura Felpin) qui aide Max à retrouver du travail, Cecilia Rouaud voulait réhabiliter la figure du gentil. La cinéaste a été assez blessée, lors de la sortie de son précédent film Photo de famille (2018), par une critique qui qualifiait les personnages du film de trop gentils au sens de niais. Elle précise :
"Je ne m’attendais pas à ce que l’on m’attaque sur ce point, je ne sais pas si on peut être trop gentil. Je crois, moi, que la gentillesse n’a rien à voir avec la bêtise ou avec une fausse bienveillance où l’on cacherait ce qui va mal derrière un vernis à l’eau de rose. Je crois que c’est une force subversive au contraire.C’est une qualité et un effort, d’être gentil."
"C’est de l’intelligence sociale et c’est une sacrée politesse que l’on rend au monde. La gentillesse n’exclut pas la lucidité, elle ne met pas de côté les dysfonctionnements du monde, mais, les intégrant, elle permet de mettre du liant. Alors, oui, pourquoi ne pas faire cohabiter deux authentiques gentils avec un tueur ? Réhabiliter cette vertu essentielle ?"
Karim et Stéphanie travaillent tous les deux pour une sinistre société spécialisée dans l’immobilier. A travers cette dernière, Cecilia Rouaud aborde aussi, dans Les Complices, une dimension sociétale peu réjouissante concernant ce domaine professionnel :
"Il ne fait pas bon vivre dans cette entreprise ! Une amie qui travaille dans ce genre de société m’avait raconté la hiérarchie qui y régnait : en haut, les cadres, au milieu, les employés, au niveau zéro, l’accueil et, en dessous, les call centers qui ont vue sur les roues des scooters."
"Si vous vous promenez à Paris, vous verrez les gens travailler à travers les vitres installées au ras du trottoir. Pour forcer le trait, j’ai pris le parti d’installer directement le call center dans un parking. Pour montrer le déclassement des gens, l’inhumanité au travail."
"Là, on est vraiment au fond du panier. Mettre un tueur au sens strict dans cette société de tueurs au sens métaphorique me permettait de questionner la place de la morale. Bien sûr, tuer des gens est amoral mais qu’en est-il d’une société qui laisse des gens en humilier d’autres ?"
A l'origine, Cecilia Rouaud voulait situer l'action des Complices à Paris. Mais, alors qu'elle regardait Better Call Saul pendant l'écriture du scénario, elle a finalement changé d'avis. Elle se rappelle : "J’enviais leurs décors hallucinants, je me disais qu’ils avaient des espaces de jeu colossaux."
"Tout à coup, j’ai eu une illumination : il fallait tourner le film ailleurs, dans des décors qu’on n’avait jamais vus. J’ai repris mon scénario dans cet objectif en pensant au lac du Salagou, un lac artificiel près de Montpellier : un endroit étrange, désert, où la terre est rouge, l’eau verte, et l’espace-temps aboli."
"En poursuivant dans cette logique, on a inventé des fausses plaques d’immatriculation et de faux panneaux de signalisation pour qu’on n’ait pas l’air d’être en France. La météo nous a aidés en alternant des ciels étranges, noirs et venteux, qui accentuent une atmosphère de fin du monde."
"De plus, on a décidé de bannir le rouge du film. À part le sang, il n’y a rien de rouge, ni dans les costumes, ni dans les décors. Cela contribue, je crois, à créer une atmosphère très particulière."
À l’origine, Jean-Pierre Bacri devait interpréter Max et Jamel Debbouze Karim : "Jean-Pierre et moi avions commencé à travailler sur le projet, puis, finalement, Jean-Pierre s’est trouvé trop vieux pour le rôle. J’ai repris le scénario, rajeuni les personnages... Entre-temps, Jean-Pierre est mort. Sa disparition m’a bouleversée, comme elle a bouleversé beaucoup de monde - elle me bouleverse encore", se souvient Cecilia Rouaud.
Avec Les Complices, l'humoriste Laura Felpin trouve son premier rôle important au cinéma. C'est William Lebghil, qui avait tourné avec elle dans un court métrage, qui a proposé son nom à Cecilia Rouaud : "Laura, c’est à la fois un petit bulldozer qui fonce, quelqu’un qui doute, qui a trop peur, trop pas peur. Elle a une énergie débordante, une intelligence rare", confie la cinéaste. Elle poursuit :
"Sur le plateau, William et elle, qu’on sentait liés par une amitié solide, ont su créer un couple crédible. Karim et Stéphanie s’aiment fort mais ne sont pas non plus dans un amour romantique ou romanesque ; plutôt dans la complicité. Leur but, c’est de se marrer ensemble. Il me semble que ça peut être ça l’amour - ni une question de vie ou de mort ni une somme de grandes déclarations..."
Paulo, le nettoyeur (Bruno Podalydès), et la femme de Max (Vanessa Paradis) font office de savoureux seconds rôles. Pour le premier, dont on découvre qu’il n’est pas le gentil qu’il a l’air d’être, Cecilia Rouaud voulait un acteur particulièrement sympathique. Elle précise :
"J’ai pensé à Bruno dont j’adore l’humanité et la drôlerie, et les films évidemment. Il a accepté le rôle avec la modestie des grands. Bruno a une façon d’être qui est très originale ; très rare. Un phrasé tellement poétique que tout, dans sa bouche, devient savoureux."
"Il a été d’un grand soutien sur le film. Quant à Vanessa, qui joue l’épouse et le talon d’Achille de Max, elle est la première à m’avoir fait confiance à mes débuts. Elle est dans tous mes projets. Elle apporte quelque chose de magique à chacun des personnages qu’elle a incarnés pour moi. C’est une fée."
Cecilia Rouaud a fait le montage des Complices avec son frère, Fabrice Rouaud. La cinéaste se rappelle : "Nous avions des univers très différents à mettre en place : on devait être sincère dans chacun – dans le polar, dans la comédie comme dans l’aspect sociétal du film. Il a fallu trouver un équilibre."
"Mon frère Fabrice aime dire qu’il y a dans chaque film une scène emblématique et que, lorsqu’on l’a trouvée, c’est gagné. Dans Les Complices, c’est celle où Karim tapote les lèvres de l’agent zéro que Max est en train de faire parler. Quand on l’a trouvée, on s’est dit qu’on tenait le film !"
"Durant cette période, nous avons fait beaucoup de projections : avec les producteurs, avec des copains réalisateurs, d’autres, pas du tout dans le milieu du cinéma. Mon frère et moi croyons beaucoup au collectif. L’idée que chacun apporte un peu de lui dans un film est ce que j’aime le plus dans ce métier."