Un bon début est né d'une rencontre qui s’est faite à l’enterrement d’un ami de Xabi Molia, Matthieu, tué au Bataclan. Pendant la cérémonie, un autre de ses amis, Antoine, a pris la parole pour évoquer la mémoire du défunt. Le cinéaste a immédiatement entendu chez lui ce qu'il aimait tant chez Matthieu : de la droiture, de la modestie et un métier d’enseignant vécu comme une vocation. Il se rappelle :
"Instituteur de formation, Antoine s’est spécialisé dans le soutien d’élèves en grande difficulté. Au début, c’est sans doute parce qu’il ressemblait à mon ami disparu que j’ai eu envie de mieux le connaître."
"Chaque fois qu’il me parlait du travail accompli au sein de Starter, le dispositif dont il s’occupe à Grenoble, j’avais l’impression qu’il me racontait des scènes de film. Je suis parti deux jours là-bas pour voir cette classe au travail."
"J’ai été bouleversé par la personnalité des élèves, par l’intensité des échanges, et un certain sentiment d’urgence. Urgence de réparer, urgence de trouver des solutions à des situations de vie très préoccupantes. Au retour, j’ai dit à ma sœur : « Je crois qu’il y a un film »."
La réalisatrice Agnès Molia poursuit : "On y est retournés tous les deux et c’est devenu une certitude. On voulait depuis longtemps retravailler ensemble, mais on attendait qu’une histoire nous tombe dessus et que ce soit une évidence. C’est ce qui s’est passé avec Antoine."
"Il nous ramenait à un sujet qui était déjà au centre de notre premier film (Le Terrain) : l’adolescence, ce temps de mutation, si incertain, où l’on n’est plus vraiment un enfant et pas encore un adulte. Un « âge bascule » où tout est encore ouvert. Cette incertitude, c’est quelque chose qui nous émeut beaucoup."
Implanté depuis 2012 dans le lycée professionnel Guynemer, à Grenoble, le dispositif public Starter accueille des élèves de 14-15 ans, qui habitent dans l’agglomération et sont en situation de décrochage scolaire. Ces élèves passent leur année de 3e sous la responsabilité d’un enseignant spécialisé, coordonnateur du dispositif, et de deux professeurs (français/anglais et mathématiques).
Pendant cette année scolaire, les élèves effectuent dix semaines de stage dans le monde du travail, ce qui les aide à ébaucher un projet d’orientation professionnelle.
Le dispositif articule donc étroitement les enseignements généraux et la découverte des métiers. Les enseignants s’efforcent par ailleurs de construire une relation éducative de confiance avec les adolescents. L’organisation pédagogique favorise l’écoute, l’expression ainsi que le développement d’une estime personnelle. Par ailleurs, les familles sont sollicitées, rassurées et mobilisées très régulièrement.
Reconnu pour son caractère expérimental comme innovation pédagogique, le dispositif Starter est également un espace de recherche et de formation pour les professionnels de l’éducation et de l’enseignement public. À ce titre, il accueille régulièrement des étudiants stagiaires.
Xabi Molia et Agnès Molia ont réalisé d’assez longs repérages, étalés sur un an et demi. Ils ont suivi deux promotions de Starter avant de filmer la suivante. La seconde se souvient : "On savait qu’on allait évoluer pendant une année dans un univers marqué par l’extraordinaire, celui de jeunes qui vivent déjà dans les marges de la société française."
"Alors c’était important pour nous de pouvoir discerner au préalable ce qui était habituel, récurrent, « normal » dans une année Starter, et les situations qui représentaient au contraire de véritables imprévus."
Quinze élèves ont été sélectionnés pour apparaître dans le film : "Chaque élève est une histoire réellement extraordinaire. Tamara, la jeune fugueuse, nous a tout de suite frappés par sa très forte personnalité. Elle est d’apparence frêle mais une volonté de fer l’anime. Elle échappe à tout. Même chose avec Nels…"
"Pourquoi ceux-là occupent-ils dans Un bon début une place plus importante que les autres ? Notre travail s’élabore à partir d’un accord partagé : on ne pourra jamais faire un documentaire « contre » les gens qu’on filme. On filme « avec »", explique Agnès Molia.
Xabi Molia et Agnès Molia ont aussi accordé une grande place aux parents parce qu’ils sont placés au cœur du processus Starter. Ils racontent : "Il faut imaginer dans quelle difficulté relationnelle sont la plupart d’entre eux avec leur fils ou leur fille. Ils se sentent coupables, ou bien ils sont en colère, ou encore ils ont perdu tout espoir de voir leur enfant s’en sortir."
"À Starter, ils sont mis en position d’acteurs. Antoine fait le bilan avec eux au moins une fois par semaine, il ne manque jamais de leur dire quand ça va bien, il les sollicite pour crever les abcès, et peu à peu des parents qui étaient dans une forme d’impasse ou de renoncement se sentent en quelque sorte réhabilités."
Xabi Molia et Agnès Molia ont opté pour le format Scope : "On s’est décidés très tôt pour ce format, qui a l’avantage de facilement capter les situations de face-à-face, mais possède aussi quelque chose de souverain. On les trouvait beaux, ces adolescents, et on voulait restituer ça sur grand écran. C’était une manière de leur dire : « Il y a aussi une place pour vous dans le cinéma français. »"
Âgé de 45 ans, Antoine a suivi des études de géographie avant de devenir professeur des écoles en 2000. Il a été enseignant à la Maison d’arrêt de Grenoble-Varces puis s’est spécialisé dans la prise en charge de jeunes en situation de décrochage scolaire. Il a créé Starter il y a tout juste dix ans, en 2012.
Également formateur (entre autres sur les questions de laïcité et de gestion des relations interculturelles), il a récemment cofondé une association, PARER, qui réunit des professionnels pour penser les alliances éducatives dans l’accompagnement des enfants et des adolescents vulnérables.