Ce film a été présenté à la Quinzaine des Cinéastes au Festival de Cannes 2023.
Avant d'être un film, Conann devait être une pièce, née sous l'impulsion de Philippe Quesne, qui dirigeait alors le Théâtre des Amandiers, et qui a proposé à Bertrand Mandico de monter un spectacle qui serait lié au cinéma. Spontanément, ce dernier a lancé l'idée de "Conann la Barbare" : "ce spectacle devait être la genèse de Conann. Il incluait des projections, une double metteuse en scène, essayant de monter le film : c’était un « spectacle préparatif ». L’antichambre Conann."
Mais le Covid et le départ de Philippe Quesne du théâtre ont causé l'annulation de la pièce. Cependant, le réalisateur est allé au bout de ce spectacle et en a fait une captation. Ce film, qui a déjà son titre, La Déviante comédie, sera montré plus tard. Il existe aussi deux courts-métrages : Nous les Barbares, un film en réalité virtuelle sur la damnation des actrices, et Rainer, a Vicious Dog in Skull Valley. Conann n'est pas une captation de cette pièce mais un projet pensé pour le cinéma, dont le scénario a été écrit parallèlement à l’expérience des Amandiers. Il a été tourné au Luxembourg dans une ancienne usine de sidérurgie qui était en train d’être démantelée.
Bertrand Mandico a demandé à son compositeur habituel, Pierre Desprats, d’oublier tout ce qu’ils avaient fait précédemment : "Je cherchais cette fois à avoir des sonorités axées sur les percussions, une tonalité générale plus sèche, avec des partis pris tranchants pour différencier les époques. Les références que je lui ai données, allaient de la musique introductive du Persona de Bergman, aux partitions de Bernard Herrmann pour Hitchcock, des collages ethniques de Nino Rota pour le Satyricon, du rap type Wu Tang Clan pour le Bronx, Plastikman pour la froideur guerrière, ou plus classiquement Purcell revu par Michael Nyman dans sa période minimale, jusqu’à la chanson façon Paul Anka que Barbara Carlotti interprète. Pour Pierre, ce fut un chantier assez déstabilisant."
Conann est aux antipodes du Conan le barbare de John Milius, "un emblème de la virilité, de la testostérone" selon Bertrand Mandico. Ce dernier a un peu puisé dans les récits du créateur du personnage, l'écrivain Robert E. Howard : "Chez lui, Conan était un personnage svelte, qui escaladait, se faufilait, on est loin de l’image associée au personnage du film". Mais il ne s'agit pas d'une adaptation des livres, même si Mandico a gardé le trauma originel de la mère tuée et l’idée de vengeance du barbare esclave. Au fur et à mesure de ses recherches, il a pu remonter jusqu’au Conann originel, celui de la mythologie celte, qui s’écrit avec deux NN, orthographe qu'il a conservé pour le titre de son film : "C’est un personnage de conquérant qui côtoyait des créatures fantastiques qu’on appelait des Fomoires, décrits comme des démons, ou plutôt des demi-dieux cynocéphales, à têtes de chiens ou de hyènes. Or j’avais déjà présent dans mes notes, un démon à tête de chien, la correspondance m’a beaucoup troublée. Ça m’a conforté dans ce choix aventureux d’une réappropriation totale, d’une Conann multiple, polymorphe traversant les temps."
Conann a été tourné en 35 millimètres. Le réalisateur détaille : "on utilise la moitié du photogramme, un scope économe, celui des westerns italiens... Et il n’y a aucun effet spécial après développement : tout est créé durant le tournage, sur place, avec les lumières, les constructions et quelques transparences." Avec cinq semaines de tournage, le plus court de sa carrière, Bertrand Mandico a dû procéder à un découpage très concis. Le tournage a été éprouvant, se déroulant quasi intégralement de nuit : "il était impossible de faire le noir dans ce lieu immense, qui par endroits était ouvert aux vents et à la pluie. Ça a été très usant, avec ce que ça pose d’épreuves physiques, pour les actrices, les techniciens, un investissement total, sans filet".
"Je trouvais important de bousculer les genres, d’offrir à des acteur.ices la possibilité d’incarner un personnage ancré originellement dans la virilité. Mon désir a été de prendre racine dans le mythe originel pour mieux le transcender", déclare le réalisateur, qui précise que le ou la Conann de 25 ans, que joue Christa Théret, est non genré.
Une référence importante de Conann est Lola Montès de Max Ophüls, dans lequel l'héroïne se raconte dans un cirque, revivant toute sa vie depuis son trapèze. Bertrand Mandico a emprunté la même structure : "Rainer est l’équivalent du monsieur Loyal joué par Peter Ustinov chez Ophüls. Son personnage est à la fois le plus touchant, l’amoureux éconduit, mais aussi celui qui tire les ficelles du déclin, le plus cruel. Mon Rainer à quelques différences, c’est un démon qui photographie la mort et les corps, mi Helmut Newton, mi Gerda Taro. Mais la référence première, gravée dans son cuir, c’est Fassbinder et son romantisme noir. Rainer renifle dans les coins pour corrompre les personnages, parle comme un héros shakespearien, ses phrases résonnent tels des oracles ironiques."
Elina Löwensohn, qui interprète Rainer, portait une prothèse comme une seconde peau, au point de devoir manger seule car la prothèse ne pouvait pas être retirée. À cause du temps de pose, la comédienne arrivait avant tout le monde et partait après le reste de l'équipe. "Plein de gens de l’équipe ont découvert le visage d’Elina à la fin du tournage. Ils ne l’ont vue durant cinq semaines qu’avec sa tête de chien. Elle était devenue Rainer", se souvient le réalisateur.