Dans l’industrie du cinéma, Phil Tippett est un nom à l’ombre gigantesque qui n’est pourtant connu que de ceux qui regardent les crédits du générique jusqu’au bout : les bestioles de la première trilogie ‘Star Wars’ et les machines de ‘Robocop’, c’était lui. Pendant dix ans, durant son temps libre, Tippett a amassé des brols, des trucs et des bidules pour façonner de nouvelles créatures, rêvant du jour où il pourrait donner corps à ses visions personnelles. Lorsqu’il estima que le stop-motion avait vécu et qu’il fonda sa propre boîte d’effets numériques (qui allait être responsable, par exemple, des dinosaures de ‘Jurassic park’ et des arachnides de ‘Starship troopers’), il remisa son rêve au placard pendant deux décennies avant de le ressortir des cartons au début des années 2010 et d’y travailler pendant les dix années suivantes, assisté d’une équipe de volontaires. Le résultat qu’on regarde aujourd’hui est…tout simplement hallucinant, dans le sens où on ressent sans difficultés le volume de travail titanesque qu’a exigé l’accouchement d’un univers entier et de son bestiaire. Il ne faut pas nécessairement chercher un sens à ce qu’on regarde et qui ressemble parfois à un trip cosmogonique obscur, mais le ressentir comme la traduction de visions cauchemardesques de son auteur, d’un monde peuplé de monstres contrefaits, d’esclaves martyrisés, de fluides répugnants et de changement de perspective et d’échelle déroutants, une sorte de Jugement Dernier de Jérôme Bosch version steampunk. Chaque nouveau plan est une découverte, une surprise à couper le souffle, qui émerveillera, choquera, révulsera mais ne laissera personne indifférent. Nulle trace ici de retenue, de message, de conformité aux modes et aux tendances, ‘Mad god’ est une oeuvre d’art à part entière, intemporelle, qu’on pourra subjectivement détester ou acclamer, mais qui n’en reste pas moins unique en son genre.