Todd Field a écrit Tár spécialement pour Cate Blanchett : "Si elle avait refusé, le film n’aurait jamais vu le jour. Les spectateurs de cinéma, cinéphiles et autres, ne s’en étonneront pas. Après tout, elle est maîtresse absolue dans son domaine. Sa virtuosité et la vraisemblance de son interprétation, qui dépassent toutes communes mesures, nous ont stupéfiés tout au long du tournage. Elle nous tire tous vers le haut. Il est difficile de rendre justice à l’impact qu’une collaboration avec une artiste de sa carrure peut avoir sur un film. Celui-ci est, de tous points de vue, son film."
"Depuis de longues années, j’avais en tête l’idée d’un personnage qui rêvait de devenir quelqu’un et s’était juré enfant d’y parvenir par ses propres moyens. Mais quand il y parvient, son rêve se transforme un cauchemar", explique Todd Field. "Lydia Tár s’est donnée corps et âme à la musique et se retrouve aujourd’hui à la tête d’une importante institution, mais cette position met à jour ses faiblesses et ses fâcheuses propensions. Elle se fait la championne de règles qu’elle ne respecte pas elle-même, avec ce qui semble être une absence totale de conscience de soi."
Pour le réalisateur, il était primordial que le métier de chef d’orchestre soit au centre du récit, et non un détail. Tár s’intéresse à la démarche, au processus de la fabrication de la musique et Todd Field avait pour ambition de montrer les rouages de la scène et des coulisses d’un tel univers.
Pour cela, il a pu compter sur le chef d'orchestre John Mauceri, dont il avait lu les livres. Il a ensuite contacté celui qui, des années durant, a dirigé les concerts “Movie Nights” à l’Hollywood Bowl, le plus grand théâtre en plein air des États-Unis, situé sur les hauteurs de Hollywood. "John a un parcours inhabituel pour un chef d’orchestre, et il comprend parfaitement comment se fabrique un film. On parlait la même langue et je pouvais lui soumettre des idées scénaristiques et tester auprès de lui leur plausibilité. Le temps que j’ai passé avec lui m’a également préparé pour poser certaines questions délicates aux professionnels de la musique en Allemagne, qui peuvent se montrer très serviles et qui protègent religieusement ce qu’ils vendent, à savoir, du beau et du respectable", raconte Field.
Dans le film, Lydia Tár prépare un concerto très attendu de la célèbre Symphonie n° 5 de Gustav Mahler. Cette référence incontournable de la musique classique, rendue célèbre grâce à Mort à Venise, est le morceau de musique classique préféré de Todd Field. À l'origine, le réalisateur ne voulait pas utiliser l’Adagietto, en raison du poids du film de Visconti, mais le chef d'orchestre et consultant John Mauceri l'a encouragé à le faire.
Cate Blanchett a commencé à travailler avec Todd Field en septembre 2020. Durant sa longue préparation pour Tár, elle a tourné deux autres films. Elle a appris à parler allemand, a joué du piano (elle joue chaque note dans le film) et a entrepris un travail de recherches colossal. Le réalisateur tient à souligner son investissement : "C’est une véritable autodidacte et elle a accompli en une année, en tournant deux autres films, je le répète, plus que Lydia Tár ne l’aurait fait en 25 ans. Le tournage venu, elle ne dormait pas plus. Après une journée de travail, elle fonçait à une leçon de piano, d’allemand, d’accent américain, de tenue de baguette, de battage de mesure. Durant son “jour de repos”, elle partait s’entraîner sur un circuit aux dimensions d’Alexanderplatz pour une scène avec Nina Hoss, zigzagant à 100 km/h au milieu de 8 voitures conduites par des cascadeurs. Elle ne reculait devant rien."
Le point de départ de la préparation de l'actrice a été les masterclasses du chef d’orchestre Ilya Musin et le documentaire Antonia: A Portrait of the Woman de Jill Godmilow. Elle a également longuement travaillé la direction d’orchestre avec la répétitrice Natalie Murray Beale.
Par souci d’authenticité, Todd Field s’est entretenu avec plusieurs musiciens d’orchestre en Allemagne, dont la première femme premier violon de l’histoire de l’orchestre philharmonique de Munich : "Elle m’a confié les difficultés qu’elle a eues à surmonter, qu’un homologue masculin n’aurait jamais rencontrées. Le monde de la musique classique austro-allemand est figé dans le passé. Il suffit de regarder les orchestres majeurs. À ce jour, pas un seul n’a de femme cheffe d’orchestre à sa tête. À ce titre, notre film est un conte de fées."
Pour avoir été co-directrice artistique et co-présidente de la Sydney Theater Company avec son mari Andrew Upton, pendant presque 10 ans, Cate Blanchett savait ce que cela impliquait de diriger une grande institution culturelle : "Avec un tel niveau de responsabilités, autant culturelles que matérielles, on peut se sentir très seul et dans une position ingrate, tout en étant conscient que c’est le plus grand défi d’une carrière."
Pour le rôle d’Olga Metkina, la production recherchait une très jeune violoncelliste russe avec un talent d’actrice, puis a décidé d'élargir les recherches à toutes les nationalités, car le critère du pays d'origine était trop restrictif. La directrice de casting Avy Kaufman et son assistante, Brigitte Whitmire, ont reçu de nombreuses vidéos de candidates mais aucune ne faisait l'affaire. Il était impensable pour l'équipe de se résoudre à avoir recours à une doublure : "Pour nous, ceux qui sont censés jouer de la musique dans le film devaient impérativement jouer la musique dans le film".
Finalement, Sophie Kauer, qui joue du violoncelle depuis ses 8 ans, s'est imposée. Ayant grandi près de Londres, elle était parvenue pour ses essais à prendre un accent russe après avoir regardé des vidéos YouTube. Une fois choisie pour le film, elle a perfectionné son accent avec les répétitrices Helen Simmons et Inna Resner. N'ayant jamais joué la comédie, elle s'est à nouveau tournée vers YouTube pour regarder des ateliers filmés avec Michael Caine, diffusés sur la BBC. Une fois le tournage lancé, elle observait Nina Hoss et Cate Blanchett, et restait sur le plateau même quand elle ne tournait pas.
Parmi les nombreuses tâches du chef décorateur Marco Bittner Rosser, il a fallu trouver une salle de concert de style dit "de la vigne" (où les sièges du public entourent la scène et les rangs s’élèvent en pente à l’image d’un vignoble) qui accepterait non seulement de se laisser envahir par une équipe de film, mais accaparer tout entière, bâtiment et personnel inclus, sur une longue période. L’orchestre Philharmonique de Dresde a accepté de mettre à disposition sa salle de concert, inspirée directement des travaux de l’architecte allemand Hans Scharoun, qui est l'inventeur des salles "en vignoble". L'équipe Décoration a dû concevoir et construire les coulisses et les bureaux de l’administration.
Le réalisateur a travaillé avec la cheffe monteuse Monika Willi, qu'il avait rencontrée lors d’un précédent projet de film qui n’a pas vu le jour. Lorsqu'ils ont commencé le montage, Londres venait de se reconfiner. Ils ont été contraints de s’enfermer dans un couvent du XVe siècle, en banlieue d’Édimbourg. Todd Field se souvient : "En dehors du travail, on n’avait pas grand-chose d’autre à faire que de se promener le long des haies qui bordaient le couvent. Alors c’est ce qu’on a fait, sept jours sur sept. On était loin de nos familles et, aussi pénible que cela ait été, ça nous a permis de nous consacrer pleinement au film, comme on n’aurait sans doute pas autant pu le faire à Londres."
Dans le film sont évoquées les recherches doctorales en ethnomusicologie de Lydia Tár chez les Shipibo-Conibos d’Amazonie, vivant sur les rives de la rivière Ucayali, au Pérou. Todd Field souhaitait une représentation significative de cette culture chamanique et des artistes qui s’y rattachent. Ainsi, la première musique qu’on entend dans le film est un ikaro (une chanson magique) interprété par la chamane Elisa Vargas Fernandez. Le designer sonore Stephen Griffiths a envoyé son neveu, Zackiel Lewis-Griffiths (diplômé de l’école des études orientales et africaines de l’université de Londres et ethnomusicologue en herbe) le long de la rivière Ucayali pour enregistrer l’ikaro destiné spécifiquement au film. Le photographe shipibo-conibo David Diaz Gonzales a été engagé pour prendre des clichés d’un rituel exécuté au sein de la famille de la chamane, auquel Lydia Tár serait plus tard incluse.
En juillet 2022, 6 mois après la fin du tournage, Cate Blanchett, Hildur Guðnadóttir, Sophie Kauer et Todd Field se sont retrouvés deux week-ends durant à Abbey Road Studios pour enregistrer un album. La pochette représente Lydia Tár dans une posture qui reproduit celle du chef d'orchestre italien Claudio Abbado sur la couverture de son CD de la Symphonie n°5 de Mahler. Les morceaux réunissent trois formations distinctes et leurs cheffes respectives, à savoir : Cate Blanchett (dans la peau de Lydia Tár) avec l’orchestre Philharmonique de Dresde, Hildur Guðnadóttir donnant ses instructions à Robert Ames pour la direction du London Contemporary Orchestra, et enfin Natalie Murray Beale à la direction de l’orchestre symphonique de Londres. L’album débute avec Hildur Guðnadóttir qui chante la chanson thème, dont la composition est attribuée à Lydia Tár dans le film, et se termine avec l’ikaro chanté par Elisa Vargas Fernandez, supposé avoir été enregistré sur le terrain par Lydia Tár en 1990.
L’Américaine Marin Alsop est devenue en 2007 la première femme à avoir dirigé un orchestre symphonique majeur aux Etats-Unis. Actuellement cheffe principale de l'Orchestre symphonique de la radio de Vienne, Alsop, qui a sans doute inspiré le film, a fait savoir à l'AFP qu'elle n'appréciait pas ce "portrait misogyne d'une femme au pouvoir" qui vient "renforcer ces stéréotypes millénaires que les hommes ont sur les femmes". Elle ne remettait en revanche par le talent de Cate Blanchett, "qui est une actrice impressionnante et accomplie".