Zeno Graton a des origines tunisiennes et belges. A l’adolescence, il a vu son cousin passer par ces centres, ce qui lui a fait se poser beaucoup de questions puisqu'il aurait pu, lui aussi, se retrouver dans cette situation : "Même si j’ai un « passing » qu’on dit « white », que cela ne se voit pas que je suis Tunisien, j’ai assisté à ce déploiement d’un racisme institutionnel."
"Mon cousin a été incarcéré pour des faits mineurs et j’ai vu le mépris de la société envers ces jeunes judiciarisés et l’impasse systémique dans laquelle ils tombent et qui les mènent souvent en prison ou à la rue. J’ai développé un regard critique sur ces institutions qui sont invisibilisées, en essayant d’y poser un regard qui ne serait pas manichéen", se rappelle le cinéaste.
"Il y avait aussi et surtout l’envie de raconter une histoire d’amour entre deux ados comme j’aurais aimé en voir à cet âge-là. Même si depuis le début de mon écriture le paysage sociétal a pas mal changé, il y a toujours eu au coeur du projet le désir que le sentiment amoureux soit désinhibé. À 32 ans, je suis éloigné d’une grosse dizaine d’années de cette jeunesse qui ne s’excuse plus."
Jean Genet est un auteur et réalisateur qui a permis à Zeno Graton de développer un point de vue militant sur le monde et de construire son désir : "Il m’a permis de m’aimer. L’architecture de cette histoire d’amour s’est imposée sur ses thématiques et notamment sur l’idée de l’homoérotisme en milieu carcéral. Je me sentais en quelque sorte bien accompagné par Genet pour ce travail de critique d’une institution et d’exaltation du désir amoureux."
Zeno Graton a trouvé les jeunes comédiens Khalil Gharbia (Peter von Kant) et Julien De Saint-Jean (Arrête avec tes mensonges) via un casting en France et en Belgique : "Avec Khalil, nous avons beaucoup discuté dès le début de ses héros : Jim Morrison, Kurt Cobain ou David Bowie. Il est très rock et cela l’a amené à déconstruire pas mal de stéréotypes de la masculinité, ce qui est assez rare chez un jeune garçon d’à peine 19 ans à l’époque. Il est très sensible, très proche de ses émotions, de la nature, des animaux, cela m’a beaucoup touché", confie le metteur en scène, en ajoutant :
"Avec Julien, il y a aussi eu un sentiment d’évidence assez rapide. Il est très travailleur, il est arrivé au deuxième tour de casting en ayant lu le livre de sociologie sur les IPPJ (Institution Publique de Protection de la Jeunesse) dont je lui avais parlé au premier tour, il avait très envie de ce rôle. Il avait une vision de William très claire en termes de sensibilité, il m’a tout de suite dit que c’était le plus fragile des deux alors que je n’en avais pas encore conscience. Ce sont deux acteurs qui m’ont permis de réécrire pour eux pendant la préparation parce qu’ils m’inspiraient beaucoup en tant que personnes."
Zeno Graton, né en 1990, est diplômé de l’INSAS en direction photo. Il écrit et réalise plusieurs courts métrages de fiction primés dans de nombreux festivals internationaux, dont Mouettes (2013), et Jay parmi les hommes (2015) diffusé sur ARTE et nominé aux Magritte du Cinéma. Il est également vidéaste pour différentes compagnies de théâtre en Belgique et en France. Le Paradis, soutenu par la Cinéfondation, est son premier long métrage.
Zeno Graton voulait que le sujet du film soit très clair grâce à l’image : la passion devait être filmée de façon enlevée, d’où le choix du Cinémascope, des travellings et des objectifs anamorphiques avec des textures très aquatiques dans les flous pour donner ce côté un peu magique. Le réalisateur précise : "C’était aussi lié à des envies de faire naître, de créer, des images manquantes."
"Bien sûr, j’ai vu Un chant d'amour de Jean Genet, auquel Le Paradis est un hommage, ou des films de Fassbinder, comme Querelle, et je voulais m’inscrire dans cette lignée de cinéastesqui n’ont pas peur des histoires d’amour entre garçons et qui ont créé des images importantes. Mais ces images manquaient à mon parcours de réalisateur, j’avais envie de les faire, de les créer, chargé de cet héritage."
"Pendant la préparation, on a aussi beaucoup regardé Happy Feet de Wong Kar Wai parce que c’est un film qui ne s’excuse pas, qui raconte les larmes, les cris, la passion et qui ne lésine pas en termes de lyrisme. J’aime aussi l’idée que différentes formes d’art coexistent dans le film : la danse, le dessin, le rap, le tatouage…"