Cela fait plusieurs années que Gaspar Noé envisage de tourner un film avec des personnes âgées. Avec ses grands-parents, puis sa mère, le réalisateur a en effet compris qu’il y a, dans la vieillesse, des enjeux de survie particulièrement complexes. Il explique :
"Celle-ci génère des situations bouleversantes dans lesquelles ceux qui vous ont le plus protégé retournent à leur tour en enfance. J’ai donc imaginé un film à la narration on ne peut plus simple avec un personnage en état de décomposition mentale perdant l’usage du langage, et son petit-fils qui, lui, ne le maîtrise pas encore, comme les deux extrêmes de cette brève expérience qu’est la vie humaine."
Vortex est le premier long-métrage tout public de Gaspar Noé : "J’avais déjà fait des films qui faisaient peur, qui faisaient bander ou qui faisaient rire. Cette foisci j’ai eu envie de faire un film qui fasse pleurer aussi fort que j’ai pu pleurer dans la vie comme au cinéma. Il y a vraiment un effet sédatif dans les larmes lorsqu’elles rentrent en contact avec les membranes des paupières qui en font une des substances les plus jouissives qui soient", précise le metteur en scène.
Gaspar Noé avait déjà filmé, avec amour, des gens plus âgés que lui (Philippe Nahon dans Carne et Seul contre tous). Toutefois, Vortex est inspiré par ses expériences personnelles récentes : "Le film renvoie probablement au vide qui nous entoure et dans lequel on flotte. On m’a dit aussi que le film rappelle Enter the Void dans le sens où son sujet est le grand vide qu’est la vie et pas la mort", confie le cinéaste.
"L’histoire du film, elle, est très banale, c’est juste une situation qui arrive tout naturellement aux gens de 80 ans et plus, et que leurs enfants de 50 ans doivent gérer. Et ce sont des situations tellement lourdes au quotidien que la plupart de ces quinquagénaires les portent comme des malédictions individuelles dont ils sont presque honteux de parler."
Gaspar Noé a tout d'abord écrit un texte d'une dizaine de pages. Canal + s’est ensuite engagé et le réalisateur a eu, pour la première fois de sa carrière, l’avance sur recettes. Il a ensuite tourné en avril-mai 2020, sur 25 jours. Il se rappelle :
"J’avais une salle de montage sur le décor et comme nous n’avions pas des journées de tournage très longues, j’ai commencé aussitôt le montage, le soir, le week-end. Ça a été très rapide, notamment la post production avant Cannes, mais j’aime bien le speed. Ça a réussi à Fassbinder, ça a réussi à tous les grands réalisateurs japonais des années 60. Alors, pourquoi faire lentement ce qu’on peut faire vite ?"
Le film a été présenté en séance spéciale sous le label Cannes Première au Festival de Cannes 2021. Gaspar Noé est ultra-habitué à la croisette puisque tous ses longs métrages y ont été présenté : Seul contre tous, Irréversible, Enter the Void, Love, Lux Æterna et Climax.
C'est parce qu'il adore le drame La Maman et la Putain (1973), dans lequel Françoise Lebrun incarne la maîtresse de maîtresse de Jean-Pierre Léaud, que Gaspar Noé a choisi l'actrice pour Vortex.
Gaspar Noé a opté pour une forme proche du documentaire, sans dialogue pré-écrit et dans un décor unique aussi réaliste que possible. Le seul parti pris conceptuel qu'il s'est donné a été de filmer quelques scènes en split-screen pour souligner la solitude partagée du couple. Le metteur en scène explique :
"La première semaine je n’ai donc tourné que quelques séquences avec deux caméras, mais en salle de montage je me suis dit que, quand l’un des personnages quittait le cadre nous laissant seul avec l’autre, j’avais vraiment envie de continuer à voir ce qu’il faisait en parallèle."
"La réalité, c’est l’addition des perceptions de ceux qui la composent. Et comme il n’y a rien de plus ennuyeux au cinéma que ce langage artificiel de téléfilm que presque tout le monde applique, je me suis dit que, tant qu’à faire un truc aussi artificiel qu’un film, pourquoi ne pas s’amuser avec le splitscreen ?"
"J’ai donc chronométré les prises et filmé les parties manquantes pour compléter les séquences. Le procédé s’est alors imposé de lui-même dès la deuxième semaine de tournage. On a l’impression de suivre deux tunnels qui évoluent en parallèle."
"Mais qui ne se touchent pas, deux personnages irrémédiablement séparés par leur chemin de vie et par l’image. L’écriture par la caméra était un peu complexe et, comme d’habitude, je n’ai fait aucun story-board. Il faut avoir une bonne logique spatiale, et je devais constamment résoudre des Rubik’s Cube mentaux."