Pour Emilie Frèche, Les Engagés est un film sur l’engagement, sur notre capacité à rendre le monde meilleur, mais aussi sur la désobéissance à la loi et sur la manière dont des gens ordinaires, en restant fidèles à leurs valeurs, deviennent des héros. La réalisatrice, qui pour l'occasion met en scène son premier long métrage, explique :
"David, mon personnage principal, est l’héritier des Justes d’hier. Il met sa morale au-dessus des lois qu’il considère iniques. C’est cet engagement-là que j’ai voulu raconter davantage que le parcours des exilés. Sans doute parce que face aux grands mouvements migratoires qui nous attendent dans les années à venir, une seule question se pose : comment accueille-t-on, et dans quelles conditions ?"
L’antisémitisme, le racisme, le rejet des migrants sont des thèmes que l’on retrouve déjà dans la plupart des livres et scénarios auxquels Emilie Frèche a collaboré avant de passer à la réalisation. La cinéaste confie : "Cet engagement vient sans doute de ses origines."
"Ma mère vient d’Europe centrale, mon père d’Algérie. Et avant cela d’Espagne. Nous sommes des déracinés. Le sentiment de l’exil fait partie de mon ADN. Quant à l’écriture, elle a toujours été pour moi une arme afin de dénoncer ce qui me révolte."
"J’écris contre. J’écris avec ma colère, et c’est vrai que le point de départ de ce film en est une : celle de découvrir qu’à la frontière franco-italienne, la solidarité était criminalisée sur le territoire français, alors que le mot « fraternité » est inscrit dans notre devise républicaine."
À la fin des Engagés, Emilie Frèche fait référence aux "7 de Briançon" de 2018, où Les Identitaires, un groupuscule d’extrême-droite, était venu patrouiller en hélicoptère au col de l’Échelle pour chercher des migrants. La réalisatrice développe :
"Les solidaires avaient choisi de riposter de manière pacifique à cette opération de com’ violente, en organisant une manifestation qui partirait de Clavière, en Italie, et irait jusqu’à Briançon. La police les a laissés passer la frontière."
"Mais arrivées en France, plusieurs personnes ont été arrêtées, et certaines placées en détention provisoire au motif qu’il y avait des exilés dans cette marche : ils étaient accusés d’aide à l’entrée illégale sur le territoire en bande organisée."
"Ils ont tous été relaxés en appel, mais certains, avec la détention provisoire, ont été privés de leur liberté. Et cette privation s’apparente à un moyen de pression politique pour dissuader tous les gens qui voudraient s’engager dans la région."
"C’est une façon de dire 'Regardez ce qui va vous arriver, si vous sauvez des étrangers en montagne !'. Je me suis inspirée de cette histoire, mais aussi du destin tragique de Blessing, jeune nigériane qui s’est noyée dans la Durance pour échapper à un contrôle de police."
Benjamin Lavernhe et Julia Piaton avaient déjà joué ensemble dans la comédie Le Discours (2020) de Laurent Tirard.
Emilie Frèche a rencontré la directrice de la photographie Myriam Vinocour sur Le Ciel attendra, dont elle a cosigné le scénario : "Proche des acteurs, elle utilise beaucoup la lumière naturelle. Je voulais qu’on soit au plus près du réel, qu’on ne sente pas la caméra."
"La beauté de la montagne est telle qu’il n’y avait pas besoin d’en rajouter. J’ai beaucoup travaillé les couleurs. Si je ferme les yeux, j’ai le sentiment que mon film est une palette de vert de gris, que tout se décline autour de ce ton-là, les costumes, les décors..."
Emilie Frèche a fait une formation universitaire en philosophie du droit. Elle est aussi autrice d’une quinzaine de livres, scénariste de plusieurs films et à l’origine d’une maison d’édition, Les Éditions du Moteur, qui publient des histoires courtes ou des pitchs pour susciter leur adaptation au cinéma :
"Ce sont les tournages des films que j’ai écrits et les plateaux sur lesquels j’ai eu la chance d’avoir été qui m'ont poussé à la réalisation. J’ai longtemps cherché un sujet qui soit cohérent avec ce que je suis, et avec ce que j’avais envie de dire avec une caméra", confie la cinéaste, en poursuivant :
"Quand je suis tombée sur ce sujet, il s’est imposé de manière évidente - l’histoire, mais aussi le lieu. J’avais envie de filmer ce territoire, qui est je crois un vrai personnage du film."
Youssouf Gueye est un jeune acteur français qui a joué dans plusieurs films, dont La Mélodie de Rachid Hami. Dans Les Engagés, il incarne l'un de ces nombreux exilés, souvent mineurs, qui traversent à pied la frontière pour rejoindre la France. Emilie Frèche explique :
"Ces gamins-là sont pourchassés par la police, et la plupart du temps reconduits manu militari en Italie, ce qui explique qu’ils tentent cinq, six, sept fois leur chance. Il arrive qu’ils passent entre les mailles du filet. Mais ils arrivent affamés et terrorisés, dans un état d’hypothermie qui nécessite parfois leur hospitalisation."
"Chaque soir, des maraudes sont organisées par les bénévoles pour aller les récupérer en montagne, et les sauver. Les autres exilés du film, pour la plupart figurants, ne sont pas des acteurs. Ce sont de vrais exilés. Nous avons pu les engager grâce à une convention avec Emmaüs."
Quand Emilie Frèche a découvert l'affaire des « 7 de Briançon », elle a décidé de s’y rendre. Elle a trouvé une chambre à Montgenèvre et a beaucoup discuté avec sa logeuse, qui lui a parlé de la situation, lui racontant comment des enfants arrivaient régulièrement de la montagne :
"Elle me disait être obligée de leur ouvrir, ne serait-ce que pour ses enfants – elle ne pouvait pas ne pas leur apprendre l’hospitalité. Le jour même, cette femme m’a mise en contact avec une personne du Refuge. Elle m’a accompagnée chez elle, près de Montgenèvre."
"Deux jeunes mineurs isolés étaient là. Ils étaient arrivés la veille à pied d’Italie. Il fallait les descendre au Refuge, à Briançon, mais les plaques d’immatriculation de la bénévole étant repérées par la police, elle m’a demandé si je pouvais les convoyer."
"Pourtant, nous n’allions pas franchir de frontière. Nous étions déjà en France, les exilés avaient donc normalement le droit de demander l’asile. En théorie oui... Mais en pratique, la police considère que la frontière n’est pas une ligne, mais cette zone de 10 kilomètres qui sépare l’Italie de Briançon."
"Dans cette zone, les forces de l’ordre s’octroient donc le droit d’arrêter des exilés, et de les renvoyer de l’autre côté de la frontière en-dehors de toute procédure légale. Le droit français en matière d’asile ne s’applique qu’à partir de Briançon."
"Après ce premier séjour, je suis retournée plusieurs fois à Briançon. J’ai passé un peu de temps au Refuge Solidaire J’ai écouté, regardé les bénévoles agir. J’ai observé les exilés qui arrivaient d’un très long périple. J’y suis retournée aussi avec les acteurs, pour qu’ils s’imprègnent des lieux et de l’atmosphère."
"J'ai également beaucoup lu sur le sujet, et visionné les passionnants reportages ou documentaires qui avaient été faits. Et puis j’ai essayé de comprendre la topographie des lieux, cette frontière à cheval sur un terrain de golf l’été et sur une piste de ski l’hiver."