The Eternal Daughter : les secrets du tournage

Eternal Daughter marque la quatrième collaboration entre Tilda Swinton et Joanna Hogg, après Caprice (1986), The Souvenir (2019) et The Souvenir: Part II (2021). Pour la réalisatrice, leur amitié a renforcé la richesse et l'émotion du film : "Étant donné qu’on se connaît extrêmement bien, on a pu creuser certaines questions comme on n’aurait jamais pu le faire avec quelqu’un d’autre. Nos discussions pendant le tournage poursuivaient celles que nous avons depuis de nombreuses années sur nos rapports à nos mères. Nous avons vécu des moments si chargés en émotions qu’il est presque impossible de les verbaliser". La comédienne renchérit : "C’étaient des moments étonnamment tendres et riches. Même si le film se déroule dans un cadre onirique, envahi par la brume et les gargouilles, Joanna et moi avions le sentiment d’évoluer dans un environnement totalement crédible parce qu’on abordait des réflexions et des émotions qui nous lient comme amies."

La cinéaste se lance pour la première fois de sa carrière dans la réalisation d'un film surnaturel. "Si je voulais raconter une histoire de fantômes, c’est parce que je voulais puiser dans ma peur du noir, ancrée en moi depuis longtemps. Mais Julie doit affronter plusieurs peurs dans cet hôtel sombre. Elle a peur de ce qui est en train d’arriver à sa mère, de ne plus être en capacité de la protéger, et – ce qui la bouleverse plus que tout – de ne jamais pouvoir en faire assez pour rendre sa mère heureuse". 

Ainsi, avec Eternal Daughter, elle mêle sa peur du noir à l'évocation de ses rapports avec sa mère. "En faisant de cette histoire, profondément liée à ma relation avec ma propre mère, un film de fantômes, j’ai sans doute réussi à prendre suffisamment de recul pour me permettre d’être plus audacieuse. Le fait de situer ce film dans un univers surnaturel m’a semblé libérateur".

À l'instar de The Souvenir et sa suite, Martin Scorsese est à nouveau producteur sur Eternal Daughter. Le réalisateur a conseillé quelques lectures à Joanna Hogg, notamment l’œuvre de M. R. James, considéré comme le pape du récit de fantômes anglais. Les contes fantastiques de James, datant du début du XXème siècle, se déroulent souvent dans des bibliothèques et des abbayes sombres où les personnages paient le prix fort pour comprendre le passé. Il lui a également recommandé They de Rudyard Kipling, paru en 1904, autour d’un automobiliste qui tombe sur une étrange maison remplie d’enfants perdus. Hogg se souvient : "C’était la première fois que je lisais un récit d’épouvante qui me faisait pleurer. J’ai été saisie par ce mélange de terreur et d’émotions fortes. Ce livre m’a profondément inspirée".

Lors de la préparation du film, Tilda Swinton a suggéré, de manière totalement spontanée, d’incarner la mère, Rosalind, et la fille, Julie. Si cette proposition était parfaitement indépendante de la genèse du film, elle s’est aussitôt imposée comme une évidence. En effet, Joanna Hogg et Tilda Swinton ont pris conscience que ce postulat pouvait largement enrichir le film et en faire une expérience beaucoup plus originale.

Ce n’est pas la première fois que l'actrice campe plusieurs personnages dans le même film. Elle s’est d’ailleurs faite connaître avec Orlando de Sally Potter, d’après Virginia Woolf, où elle interprète un personnage aux identités plurielles qui traverse les époques avec fluidité. Elle joue également deux jumelles dans Ave, César! et Snowpiercer, et interprète même trois personnages dans le remake de Suspiria (dont un vieil homme) ! 

Elle et Joanna Hogg ont mis au point une méthode permettant à la première de rester, dans la mesure du possible, dans l’esprit de la scène pour ne pas en perdre la fraîcheur, même lorsqu’elle devait passer d’un rôle à l’autre. Les journées étaient coupées en deux : le matin, Tilda Swinton jouait Julie et, l’après-midi, Rosalind – ou l’inverse –, et se faisait maquiller pendant la pause de la mi-journée pour changer d’identité.

Non seulement Tilda Swinton joue deux rôles dans le film, mais elle devait improviser pour chacun d’entre eux sur le plateau. Tandis qu'elle incarnait Julie ou Rosalind, Joanna Hogg lui donnait souvent la réplique, hors-champ, sous les traits de la mère ou de la fille afin de conserver la spontanéité de leurs échanges. De son côté, le preneur de son enregistrait la scène, puis la scripte notait attentivement tous les dialogues. Enfin, Tilda Swinton rejouait la séquence sous les traits de l’autre personnage, tout en continuant à improviser. C’est ainsi que, même si les scènes changeaient constamment, l’équipe pouvait suivre la progression de l’intrigue.

Louis, le fidèle épagneul de Rosalind, est joué par l’un des propres chiens de Tilda Swinton. "Il y a quelque chose de singulier dans l’attachement entre un acteur et son propre animal – un sentiment qu’on ne peut pas reproduire", explique la réalisatrice.